Repères - N°54 / Juillet 2022 - Le magazine de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire - 15

DOSSIER
Un cycle sous surveillance
Que se passe-t-il lorsqu'une
non-conformité est décelée
dans une installation qui traite
ou recycle le combustible
usé ? Les experts de l'IRSN
l'analysent et étudient
les répercussions sur le cycle.
Exemple à l'usine d'Orano,
à La Hague, en Manche.
E
n septembre 2021, une des deux
usines de retraitement du combustible
usé de La Hague (Manche) ne
redémarre pas à la suite de son arrêt pour
maintenance : un des évaporateurs présente
une corrosion trop avancée. Peu avant, les
experts, qui suivent depuis plus de dix ans
l'état de ces équipements - servant à concentrer
des produits de fission - avaient
alerté l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Dès que la suspension est actée, l'Institut
évalue son impact sur le cycle du combustible
(lire p. 11).
Un évaporateur à l'arrêt
« Dès 2011, Orano constate une corrosion
des évaporateurs plus importante qu'attendue
à la conception. Elle est signalée à l'occasion
de mesures d'épaisseur réalisées lors
du premier réexamen périodique de l'usine
UP3-A, retrace Delphine Viret, experte de
l'usine de La Hague. En 2016, l'exploitant
renforce le suivi en exploitation. Il met en
place des dispositions pour limiter la corrosion
et décide de leur remplacement. » Les
nouveaux évaporateurs seront en service en
2023 et 2024.
Depuis 20151, ce sujet fait l'objet de plusieurs
avis de l'IRSN. Il recommande que l'exploitant
contrôle plus fréquemment
l'épaisseur
de la paroi de ces équipements : tous
les ans dans les zones les plus sensibles, tous
les deux ans sur l'ensemble de l'équipement.
Il préconise en plus de prendre des dispositions
pour limiter la corrosion : diminuer les
pression et température de fonctionnement,
rapprocher des rinçages, etc.
Ce suivi renforcé connaît un tour décisif en
2021. « Lors des mesures réalisées en mai-juin
de cette année-là, l'exploitant utilise un
Yohan Leblois (à gauche) et Mamadou Sow (à droite), scientifiques à l'Institut,
démontent l'équipement expérimental mis au point par l'IRSN pour simuler
une fuite accidentelle d'un évaporateur de produits de fissions sur l'installation Disco.
nouveau mode opératoire et rencontre des difficultés,
relate Delphine Viret. Les premières
données sont discordantes. Les relevés ne
faisaient pas apparaître de perte d'épaisseur
depuis les vérifications précédentes. Ce
n'était pas cohérent avec la durée d'utilisation
de l'évaporateur. » Les experts rendent
un avis en juillet 20212. Sur la base de
leurs recommandations, l'ASN demande à
Orano de mener de nouvelles mesures en
septembre, en triplant le nombre de points
à vérifier. Celles-ci confirment que l'épaisseur
de la paroi d'un des trois évaporateurs
a atteint le seuil défini dans les dossiers de
sûreté. En deçà, il doit être arrêté. L'usine
redémarre fin 2021 avec un équipement en
moins, qui est arrêté définitivement.
Risque de saturation
Trois experts évaluent l'impact de ce
fonctionnement dégradé sur le cycle
(voir infographie p. 11). Une conséquence
majeure apparaît : l'arrêt d'un autre
évaporateur conduirait à la fermeture
d'une des deux usines. « Il serait alors plus
difficile de traiter les 1 100 tonnes annuelles
de combustible prévues dans le cycle,
détaille Florence Gauthier, experte des
installations de retraitement. Cela saturerait
les entreposages avant l'échéance de 2030,
potentiellement dès 2024. »
Pour quantifier ce risque, l'Institut dispose
du logiciel de simulation Cyclope. Il
modélise les flux de matière dans l'ensemble
du cycle. « Ce logiciel contrôle finement
les paramètres, tel le régime de fonctionnement
de chaque maillon du cycle », précise
Jean Lombard, expert du cycle du combustible.
Les simulations d'EDF et leur sensibilité
aux imprévus sont mises à l'épreuve.
Cyclope alerte sur les dates de saturation
des entreposages et la nécessité de mettre
en œuvre des parades en cas de saturation
annoncée, comme l'extension d'entreposages
de rebuts Mox.
Selon Orano, le raccordement des nouveaux
évaporateurs3 nécessitera d'arrêter l'usine
de juin à décembre 2023. Les experts
analysent l'impact d'un éventuel retard
du chantier. Selon eux, la saturation de la
piscine de combustible usé interviendrait
avant que l'industriel ne mette en œuvre
des solutions de moyen terme (lire p. 11).
« C'est un risque critique, commente Jean
Lombard. Nous l'avons porté à la connaissance
de l'ASN4. » n
1. Avis IRSN 2015-00376 et 2016-158.
2. Avis IRSN 2021-000907.
3. Projet « Nouvelle concentration des produits
de fission » (NCPF).
4. Avis IRSN 2022-00049.
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