Repères - N°57 / Mai 2023 - Le magazine de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire - 22

REPORTAGE
Organes et radiosensibilité
Une nouvelle stratégie pour protéger le côlon
Qu'est-ce qui explique la grande sensibilité du côlon aux radiothérapies anti-cancéreuses ?
Comment le protéger ? Des recherches menées à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine)
ambitionnent d'améliorer la prise en charge des complications post-traitement.
L
es yeux rivés sur son écran de contrôle,
Valérie Buard inspecte le marquage
fluorescent d'une coupe de tissu intestinal
animal. La pièce exiguë dans laquelle
s'affaire la technicienne biologiste se situe
au Laboratoire de radiobiologie des expositions
médicales (LRMed). Celui-ci est
spécialisé dans l'étude des tissus exposés
aux rayonnements ionisants. Située au
Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), elle
compte huit chercheurs épaulés par quatre
techniciens.
Depuis deux ans, le pharmacien et doctorant
Martin Jestin y étudie les effets de l'irradiation
sur le côlon. Ses investigations se
focalisent sur un compartiment méconnu
de cet organe : son micro-environnement,
appelé aussi le stroma. Ce dernier diffuse
une multitude de molécules, dont certaines
seraient impliquées dans la régénération
des cellules épithéliales1 du côlon.
« Nous souhaitons identifier les signaux moléculaires
perturbés par les rayonnements,
pour comprendre comment ils entravent la
régénération de la paroi intestinale », détaille
le doctorant.
L'enjeu est d'importance. Près de 115 000
cancers pelviens - prostate, vessie, utérus,
rectum, etc. - sont diagnostiqués en France
chaque année. Une part significative est
traitée par radiothérapie. Cette technique
est très efficace pour traiter les tumeurs mais
peut, dans certains cas, conduire à des
complications - regroupées sous le terme
anglo-saxon « pelvic radiation disease » -,
dont la fibrose colorectale.
Lésions tardives
Si ces complications se manifestent le plus
souvent dans les mois suivant la radiothérapie,
chez 20 % des patients, plusieurs
années s'écoulent avant leur apparition.
« Le fait que le côlon dispose d'un compartiment
riche en cellules souches épithéliales
se divisant rapidement le rend sensible aux
rayonnements », explique Noëlle Mathieu,
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la chercheuse en radiobiologie qui supervise
le thésard. Pour prévenir ces effets secondaires,
le doctorant cherche à mettre au
point une nouvelle stratégie thérapeutique.
La première étape consiste à prélever le
côlon d'une souris ayant reçu une dose
de rayonnement dans la zone colorectale.
Deux semaines après l'irradiation, la structure
tissulaire est analysée au microscope
optique. L'opération est renouvelée dix
semaines plus tard, afin d'observer des
effets tardifs comme la fibrose. « Même si
la structure du côlon est intacte, certaines
protéines qui assurent la fonction de l'organe
sont en revanche altérées par l'irradiation »,
observe Martin Jestin.
Analyser chaque cellule
L'étape suivante vise à identifier les voies de
signalisation moléculaires du micro-environnement
stromal impliquées dans cette
altération. Martin Jestin conçoit un protocole
pour obtenir une suspension cellulaire
à partir de côlon de souris irradiées.
Une technique novatrice est appliquée sur
cette suspension : le séquençage sur cellule
unique. Ce procédé sert à caractériser
le transcriptome2 de chaque cellule de
l'échantillon tissulaire. « Nous déterminons
les gènes surexprimés ou sous-exprimés
dans diverses populations de cellules stromales3
irradiées, ainsi que les voies de signalisation
sur lesquelles agir pour rétablir leur
expression normale. »
L'efficacité de ces voies de régulation est
testée à l'aide d'un dispositif expérimental
singulier : des versions simplifiées et miniatures
de côlon, appelées organoïdes.
Pour fabriquer ces organoïdes coliques,
les expérimentateurs placent des cellules
souches dans une matrice - un dôme
d'hydrogel - avec des substances stimulant
leur prolifération et leur différenciation.
Au bout d'une semaine, les cellules s'organisent
spontanément en une structure 3D
qui mime l'architecture de l'organe.
Organoïde de côlon - version simplifiée
et miniature de cet organe - observé
au microscope. Constitué de différents
types de cellules - souches, progénitrices,
différenciées -, ce mini-organe mime
la structure d'un véritable côlon.
Ces mini-côlons sont associés à des cellules
issues de souris irradiées. L'objectif de cette
culture simultanée : comprendre comment
les cellules stromales agissent sur le développement
de l'épithélium intestinal lors d'une
radiothérapie pelvienne.
Dans les prochains mois, plusieurs molécules
seront testées sur des organoïdes
coliques. Si certaines parviennent à restaurer
les fonctionnalités de l'épithélium
intestinal, elles seront expérimentées chez
l'animal. n
1. Cellules recouvrant l'intestin et formant l'épithélium
intestinal chargées d'absorber des nutriments.
2. Ensemble des ARN issus de la transcription
du génome. La caractérisation du transcriptome
dans un tissu permet d'identifier les gènes actifs
et les mécanismes de régulation associés.
3. Catégorie de cellules contribuant à la structuration
anatomique des organes.

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