Repères - N°58 / Septembre 2023 - Le magazine de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire - 22

REPORTAGE
Pièges à iode
Vers des tests sans radioactivité
Éviter des relâchements de radioactivité dans l'air lors de tests des pièges à iode
des installations nucléaires. C'est l'objectif des recherches menées au sein d'un riche arsenal
expérimental. Reportage dans l'Essonne, dans les locaux de l'installation expérimentale Persée.
C
apteurs de pression, de température
et d'hygrométrie, débitmètres,
passeur d'échantillons pour les
mesures par spectrométrie gamma, chromatographie
en phase gazeuse, dispositifs
d'adsorption, balises de surveillance atmosphérique...
La plateforme Persée - Plateforme
expérimentale de recherche sur
l'épuration des effluents radioactifs - impressionne
par son instrumentation riche
et imbriquée.
Des spécialistes cherchent comment limiter
les rejets d'iode radioactif vers l'environnement,
notamment son espèce la
plus pénétrante, l'iodure de méthyle ? Inhalé
ou ingéré, il se fixe sur la thyroïde et peut
provoquer des cancers de cette glande.
Charbons actifs
Pour limiter sa dissémination dans l'environnement,
les installations nucléaires
sont équipées de pièges à iode, composés
d'adsorbants de type charbons actifs. Placés
au sein des réseaux de ventilation, ils limitent
les rejets d'espèces iodées volatiles
- notamment l'iodure de méthyle - dans
des conditions normales ou dégradées
de fonctionnement. Ces pièges reposent
sur trois mécanismes. Le premier est physique
: l'iode est piégé dans les micropores
de l'adsorbant. Par le second - chimique -,
l'iodure de méthyle présent réagit sélectivement
avec la triéthylènediamine
(TEDA) qui imprègne le charbon actif. Le
troisième est l'échange isotopique : l'iode
radioactif provenant de l'iodure de méthyle
permute avec l'iode stable de l'iodure
de potassium qui entre dans la composition
du filtre.
Ces pièges sont contrôlés périodiquement,
pour vérifier leur efficacité de rétention et
la comparer à une valeur de référence réglementaire,
déterminée au préalable par
des études de sûreté. « De l'iode radioactif
est injecté en amont du matériau filtrant.
Des mesures réalisées montrent ce qui sort
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en aval », décrit Mouheb Chebbi, spécialiste
des méthodes et moyens d'analyse
au Laboratoire d'expérimentations sur le
comportement des équipements et de la
ventilation (Lecev) à Saclay (Essonne).
La situation est paradoxale, ce test - censé
vérifier le non-relâchement d'iode radioactif
- est lui-même source de rejet dans
l'environnement. D'où la nécessité de
substituer cette procédure par de nouvelles
méthodes de tests non radioactifs. La
thèse de Hantao Lin1, soutenue en 2022,
explore cette question à fort enjeu de radioprotection
et de sûreté.
La première étape consiste à mieux comprendre
le piégeage. Sans iode radioactif,
plus d'échange isotopique. Dans quelle
mesure perd-on alors en efficacité ?
Malgré son utilisation massive dans les
pièges à iode, la réactivité de l'iodure de
potassium dans les charbons actifs - mal
connue - est seulement théorique.
Coefficients d'épuration
Pour la caractériser, l'équipe2 sonde les
performances de vingt charbons actifs
commerciaux de différentes compositions
: non imprégnés, imprégnés d'iodure
de potassium, imprégnés de TEDA,
co-imprégnés de ces deux composants...
Avec l'installation Persée, les scientifiques
réalisent des mesures par spectrométrie
gamma pour déterminer les coefficients
d'épuration - rapport entre les concentrations
d'iode radioactif en entrée et en
sortie - des différents charbons. « Pour la
première fois, nous avons isolé les rôles joués
par l'iodure du potassium et la TEDA »,
s'enthousiasme Mouheb Chebbi.
Les expérimentations montrent que la
TEDA intervient très tôt dans le piégeage
et retient l'iode de manière durable dans
des conditions très humides. L'iodure du
potassium prend le relais quand les premières
molécules commencent à être détectées
en aval du piège - phase dite de
Des filtres contenant du charbon actif
sont testés sur la plateforme Persée.
Ici, la technicienne Anne-Laure Teppe place
un échantillon de matériau adsorbant d'iode.
percée -, retardant ainsi le rejet radioactif.
La prochaine étape consiste à quantifier
finement ces réactions et à les incorporer
dans un modèle de prédiction des performances
d'un piège à iode.
Des travaux initiés depuis 2022 dans le
cadre de la thèse de Karim Abbas, spécialisé
en chimie analytique. Le modèle
fournira un coefficient de sûreté, qui permettra
de transposer les essais menés avec
de l'iode radioactif à des essais avec celui
non radioactif. Parallèlement, l'équipe
cherche à développer des méthodes d'analyse
chimique très sensibles en sortie de
filtre. n
1. Thèse soutenue en avril 2022.
2. En moyenne composée de trois chercheurs
et techniciens, de stagiaires, doctorants
ou post-doctorats.

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