Revue - Gazette du Palais n° hors-série - 18 mai 2018 - 4

Actes de colloque

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La négociation peut-elle tout ?

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Propos introductifs

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L'essentiel

Nos sociétés contemporaines connaissent un accroissement considérable du domaine de la négociation au
point que certains considèrent qu'elle est devenue le modèle dominant de régulation des rapports sociaux.
Ce phénomène n'a pas épargné le droit qui se négocierait lui aussi après avoir été longtemps imposé. Cette
évolution présenterait un double avantage : elle permettrait au droit d'être tout à la fois plus efficace et plus
effectif. Néanmoins, il arrive que la négociation ne produise pas les effets escomptés, qu'elle se fasse au
détriment de l'harmonie sociale, ou qu'elle masque des phénomènes de soumission des sujets de droit. Elle
sera alors contestée au nom de valeurs qui pourraient ne pas être négociables. Parfois même il peut y être
mis fin. Si donc la négociation peut beaucoup, elle ne peut pas tout !
« La négociation peut-elle
tout ? » : tel est le sujet
Christophe JAMIN
retenu par les organisaDirecteur de l'école de
teurs du présent colloque
droit de Sciences Po
qui m'en ont confié, il y a
quelques mois, la direction
scientifique. Je dois dire tout de suite que ce thème, pas
plus que le titre, n'ont été négociables... L'un et l'autre
m'ont été imposés, du moins à la manière des contrats
d'adhésion : je pouvais refuser ou accepter en bloc. Honoré
par l'offre qui m'était faite, je l'ai accepté sans négocier,
avec une part d'angoisse tout de même devant un énoncé
qui me paraissait au premier abord assez énigmatique.
Néanmoins à la réflexion, je n'ai aucun regret car il s'agit
d'un sujet important, pour ne pas dire fondamental, même
si les juristes n'en ont pas toujours une vue d'ensemble.
Ce qui justifie amplement le choix du sujet et son actualité.
Par

Relevons-le d'emblée : « La négociation peut-elle tout ? »
ne signifie pas « tout est-il négociable ? ». La question à
laquelle nous allons collectivement essayer de répondre
porte moins sur le domaine de la négociation que sur ses
effets. Tout peut ne pas être négociable - et je viens d'en
administrer la preuve - mais une fois entré dans la sphère
de la négociation, la question se pose de savoir quels effets celle-ci est susceptible de produire. La négociation
est-elle précisément en mesure de tout faire ? Est-elle en
quelque sorte un couteau suisse dont on pourrait tirer un
nombre infini d'usages ?
Cependant, il ne faut pas aller trop vite car si les deux
questions sont distinctes, elles sont étroitement liées et
doivent être abordées l'une après l'autre. En effet, si nous
nous demandons ce qu'on peut attendre de la négociation, c'est peut-être parce que celle-ci prend aujourd'hui
une importance croissante, qu'elle acquiert un domaine
si vaste qu'il faille en quelque sorte jeter un regard tout
à la fois rétrospectif et réflexif sur cette évolution et son

NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.

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bien-fondé. Autrement dit, s'interroger sur la raison d'être
de cette expansion du domaine de la négociation, sur le
rôle qu'on entend lui faire jouer, sur sa capacité à jouer ce
rôle, sur les conditions dans lesquelles elle peut le jouer,
sur d'éventuelles limites à lui assigner, ce qui est une manière de poser en creux notre question. En termes triviaux,
je pourrais dire : si tout devient négociable, est-ce parce
que la négociation peut tout ?
Il faut donc commencer par nous interroger sur le domaine de la négociation avant de porter notre regard sur
ses usages.

I. LE DOMAINE DE LA NÉGOCIATION
Sur le domaine de la négociation, il existe aujourd'hui
une littérature considérable. On doit au politiste étatsunien William Zartman, grand spécialiste de la gestion des
conflits internationaux, une expression qui a fait florès.
Elle remonte à 1976 : « Ours is an age of negociation » (1)
(« nous sommes à l'âge de la négociation »).
De manière générale, on peut dire que cette thématique
de la négociation a précisément pris son essor à partir
des années 1970. Pour un certain nombre d'observateurs,
elle est devenue centrale dans tous les domaines de
l'activité humaine. Aussi bien pour analyser les relations
internationales que les liens familiaux ou encore les relations sociales et professionnelles. Certains ont alors pu
soutenir que l'activité de négociation n'était pas le produit des seules sociétés contemporaines, mais qu'elle
était consubstantielle à toute organisation humaine. Dit
autrement, nous ne serions pas passés de sociétés dont
les structures auraient été hiérarchiques à des sociétés
où l'ordre social aurait été en permanence négocié. Nos
sociétés n'auraient donc pas évolué vers toujours plus de
négociations qui auraient été en quelque sorte institutionnalisées ; celles-ci auraient été simplement rendues plus
visibles, mais aussi légitimées, du fait de multiples travaux
ayant pris cette thématique pour objet.

(1) Zartman W., The Fifty Percent Solution, 1979, Anchor.

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