Revue - Gazette du Palais n° hors-série - 18 mai 2018 - 45

Actes de colloque

entendu comme un contrat « éternel » toute la vie exécuté
auprès du même employeur, n'est plus. Les termes de la
promesse sur laquelle le droit du travail a été bâti étaient
ceux d'un statut qui protège la sécurité physique et économique du travailleur ainsi que sa liberté contractuelle,
en contrepartie d'un temps de travail subordonné auquel
consent le salarié, dûment rémunéré par l'employeur (23).

court terme entre le prestataire et le fournisseur et assorties (parfois) d'un paiement à la tâche (29) - constituent,
malgré leur caractère précaire, une source sinon de travail du moins de revenu qui tend à s'accroître du fait de
l'augmentation des places de marché constituées par les
plateformes. On assiste peu à peu à une distorsion entre
travail et source de revenus.

Sous l'effet notamment de la révolution numérique en
cours, mais pas seulement, on observe déjà une « déstandardisation » du marché du travail (24). Même si, selon
les dernières statistiques INSEE (25), environ 85 % des
personnes sont encore employées en CDI, 80 % des
embauches sont effectuées en CDD, le CDI à temps partiel plutôt qu'à temps plein prospère, la durée moyenne
des CDI tend à se réduire et le phénomène de la multiactivité, voire de la juxtaposition des statuts indépendants
(autoentrepreneur ou libéral) avec celui de salarié, augmente (on estime que 16 % de la population active est ainsi
composée de ces slashers, correspondant à 2,3 millions de
personnes). Le salariat n'a cependant pas vocation à disparaître à horizon visible ! Il demeure aujourd'hui la forme
très majoritaire du travail, même si sa part statistique
est en léger repli depuis une dizaine d'années (-1,5 point
entre 2006 et 2016 en France métropolitaine) et si l'idée
d'un « CDI à vie » tenant lieu de forme normale du travail est objectivement et incontestablement démentie par
l'observation élémentaire du marché du travail, elle reste
fondamentalement prégnante dans notre représentation
du travail.

3. Les espoirs des salariés

2. Le travail n'est plus synonyme de CDI
Si le travail est encore aujourd'hui largement synonyme
de contrat de travail en raison de son histoire récente au
cours du XXe siècle (26), les nouvelles formes d'emplois, ou
encore le travail innomé résultant des activités humaines
effectuées à titre gratuit en dehors du bénévolat classique,
se développent (27). Ce travail « bizarre » touche tous les
secteurs de la vie quotidienne, y compris dans la sphère de
la consommation (émission d'un billet d'avion ou de train),
ou vise les innombrables contributions gratuites facilitées
par le web, depuis l'amélioration de logiciels de jeux, aux
communautés de marques, aux notations d'hôtels ou de
restaurants (28). Les frontières entre le travail et le non-travail considéré comme loisir ou activité artistique se diluent
et créent une concurrence entre eux. Le consommateur
s'improvise producteur, et réciproquement, chacun donnant lieu à une évaluation systématique au travers d'une
notation, ce simple fait caractérisant la mobilisation d'une
nécessaire conscience professionnelle. L'ensemble de
ces activités - que l'on peut ranger dans la catégorie du
« travail indépendant » puisqu'elles sont des activités
autonomes, enfermées dans une relation contractuelle à

(23) Supiot A., « La Gouvernance par les nombres », in Cours au Collège de France
(2012-2014), 2015, Fayard, p. 351 et s.
(24) Pennel D., « Vers la fin du salariat », in Sociétal 2015, 2015, Eyrolles, p. 209.
(25) « Une photographie du marché du travail en 2016 », INSEE PREMIÈRE,
n° 1648, 17 mai 2017.
(26) V., pour une analyse approfondie de la situation du travail, Gomez P.-Y., Intelligence du travail, 2016, Desclée de Brouwer.
(27) V., pour un constat sans appel, CE, étude annuelle 2017, « Puissance publique
et plateformes numériques : accompagner l'ubérisation », 13 juill. 2017.
(28) V. Segond V., « La déferlante du travail gratuit », enquête Le Monde, 18 oct.
2016.

Dans un essai remarqué, Thierry Pech montre que la figure du salarié, celle du consommateur et celle du citoyen
se retrouvent dans une forme d'insoumission nouvelle,
chacun aspirant à sortir du carcan respectif de la subordination au travail, de la consommation de masse et des
partis traditionnels (30).
Les générations des Millenials pèsent bien plus que les
précédentes sur les mutations du travail : leur familiarité
naturelle avec la technologie et le numérique mais aussi
leurs propres valeurs, où la quête de sens, l'épanouissement et la sobriété dans les modes de consommation
pour protéger l'environnement sont des priorités absolues (31), les portent à regarder avec bien plus de faveur un
parcours de vie professionnelle fractionné et particulièrement les formes de travail atypiques.
Maîtrisant mieux les outils technologiques et sûrs de leurs
objectifs personnels très différents de leurs aînés, les
jeunes, ne veulent pas « subir » le contrat de travail (32) :
une majorité des 18/34 ans se prononce en ce sens. Certes,
la raréfaction du CDI, en tout cas à la première embauche
et particulièrement dans le contexte de crise des années
2008, rend la poursuite de cet objectif plus aléatoire, ce qui
peut expliquer que de nombreux jeunes s'en détournent.
Mais ils se détournent aussi de l'entreprise classique au
profit de la figure plus positive de la « start-up ».
L'intérêt de la « communauté » l'emporte ainsi désormais sur celui de l'entreprise, parfois caricaturée comme
simple source de profits au détriment des aspirations individuelles de ses membres. Ainsi, la nouvelle génération de
travailleurs s'illustre par sa volonté de créer de nouvelles
formes d'organisation du travail en réseau comme des
communautés de travail, des espaces de coworking.
Dans ce contexte de mutation, le salarié d'aujourd'hui
recherche l'autonomie, pas nécessairement les responsabilités. Il souhaite davantage de liberté dans
l'accomplissement de ses fonctions. Il veut participer
utilement à l'organisation à laquelle il offre ses services.
Il aspire enfin à épouser les valeurs de son entreprise,
notamment dans son rôle de préservation de l'environnement tel que la RSE l'impose.
Les attentes des salariés sont les suivantes :
- atténuation de l'impact de la subordination vu comme un
lien d'obéissance ;
- pouvoir agir individuellement sur le quotidien ;

(29) V. rapport McKinsey 2016.
(30) Pech T., Insoumissions, Portrait de la France qui vient, 2017, Seuil.
(31) Littérature abondante à ce sujet. V. par ex. : Baricco A., Les Barbares, Essai sur
la mutation, 2014, Gallimard ; Serres M., Petite Poucette, 2012, Le Pommier ;
Sirinelli J.-P., Génération sans pareille, 2016, Éd. Taillandier.
(32) V. article du Monde : www.lemonde.fr/emploi/article/2016/08/18/les-jeunesveulent-entreprendre-pour-ne-plus-subirle-travail_4984578_1698637.html.
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http://www.lemonde.fr/emploi/article/2016/08/18/les-jeunes

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