Revue - Gazette du Palais n° hors-série - 18 mai 2018 - 9

Actes de colloque

NÉGOCIER AVEC L'ÉTAT

La négociation de la loi par les acteurs privés

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L'essentiel

Si l'adoption de la loi est une prérogative exclusive du Parlement, rien ne dit que son contenu ne puisse
pas procéder d'une négociation, surtout dans une démocratie aussi inquiète et crispée que la nôtre. C'est
d'ailleurs une réalité dans le droit du travail où l'État reconnaît depuis longtemps aux partenaires sociaux,
la faculté de décider, par accord collectif de la norme applicable à tous. Mais d'autres cadres s'esquissent
comme la co-construction des politiques publiques. Ce constat ne doit rien au hasard et tout à l'intérêt de
l'État qui y trouve de multiples avantages partant du principe qu'en prenant en compte le point de vue des
destinataires intéressés, les contestations seront plus rares...

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Par

Jean-Jacques URVOAS
Maître de conférences
en droit public à
l'université de Bretagne
Occidentale, président de
la commission des lois de
l'Assemblée (2012-2016),
garde des Sceaux,
ministre de la Justice
(2016-2017)

on propos est écrit sur
la base d'une double
expérience : parlementaire,
puisque j'ai siégé 5 ans dans
l'opposition, avant en 2012
de présider durant 4 ans
la commission des lois de
l'Assemblée, puis gouvernementale, ayant assumé
la responsabilité de garde
des Sceaux durant 16 mois.
Ce n'est donc qu'un regard
sans prétention sur l'élaboration empirique de la loi
et non l'affirmation d'une
vérité.

Celui-ci n'a pas été construit
sur une classique approche :
théorie versus pratique. Un
tel angle est inadapté au
terrain parlementaire, car
les pratiques y sont souvent théorisées et les pensées,
notamment sur ce sujet, sont résolument tournées vers
la pratique.
Je vous propose donc un exercice de décryptage prudent.
À l'Assemblée (comme au Sénat au demeurant), rien
n'est jamais définitif et l'expérience ne préserve que de
la surprise, pas de l'accident. De surcroît, au parlement,
l'essentiel des codes qui régissent l'activité sont coutumiers et aucun mode d'emploi aisément accessible ne
permet d'en appréhender facilement la teneur.

I. CE QUE NÉGOCIER VEUT DIRE
Dans un colloque de « Droit et commerce », il est inévitable de débuter par la parenté, clairement établie par
la terminologie, entre la négociation et le négoce. Sans
même remonter jusqu'à l'étymologie, le négoce se réfère
à une activité qui met aux prises deux ou plusieurs partenaires en vue du règlement d'une affaire.
Nous sommes donc dans l'univers de l'échange, mais un
échange intéressé puisque chaque protagoniste espère
en tirer profit. Partant, il s'agit en réalité d'un art subtil
qui s'approche plus de la diplomatie que de la confrontation. N'est-ce pas un orfèvre, Henry Kissinger, qui écrivit
« la diplomatie consiste à rapprocher des points de vue
NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.

divergents par le biais de la négociation » (Kissinger H.,
Les fondements de la politique étrangère des États-Unis,
Les fondements de la politique étrangère des États-Unis,
Politique étrangère, 4, 1982, p. 918) ? De même, plus
prosaïquement et sans trop forcer le trait, la négociation
pourrait se définir comme la réplique inversée d'un débat.
Dans cette configuration, chaque participant cherche à imposer ses convictions à partir d'une logique plus pointue.
Dans cette situation conflictuelle, les débatteurs privilégient donc l'approche frontale, c'est-à-dire la stratégie du
choc pour construire un rapport de force à leur profit. À
l'issue, il y a nécessairement un gagnant et un perdant.
Dans une négociation, l'approche est latérale. Il ne s'agit
plus de prendre le dessus, mais de conduire son interlocuteur là où on le souhaite et idéalement de construire une
réponse commune à la question initiale. C'est un exercice
délicat dont l'essence est la conviction et le but l'obtention
d'un accord acceptable par les parties. Une construction
conjointe d'une réponse complexe que l'on prépare mieux
en lisant L'art de la guerre du stratège chinois du VIe siècle
avant J.-C. Sun Tzu que De la guerre du théoricien militaire
prussien du XVIIIe Carl von Clausewitz.

Si deux personnes désirent la
même orange, ce n'est peut-être pas
pour la même raison. En commençant
par identifier les besoins, une solution
peut apparaître

Il faut parallèlement effacer la fausse issue régulièrement
convoquée : on ne sortirait d'une négociation que par un
compromis ou une concession. Ces deux options sont, en
effet, fondées sur une conception fondamentalement compétitive de l'échange. Le compromis, c'est souvent le juste
milieu. Chacun n'obtient que la moitié de ce qu'il réclame
et cela se finit donc avec deux déceptions larvées et deux
satisfactions mitigées. La concession consiste à céder. Le
vainqueur impose son point de vue et l'autre n'obtient rien,
ce qui fait un succès précaire et une rancœur durable.
À l'inverse, une négociation réussie est celle où les
partenaires gagnent ensemble. Cela commence par la
construction d'une réalité commune aux deux parties pour
déboucher sur une solution partagée. Et se poursuit par
l'ambition que, dans l'interaction de la situation, chaque
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