Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 14

Actes de colloque

sanction (50) : la résolution aura cependant déjà produit ses
effets et débouché sur une « situation acquise ». Mutatis
mutandis, au titre exécutoire près, le créancier se trouve
dans une position assez proche de celle d'un contractant
ayant obtenu la résolution judiciaire assortie de l'exécution provisoire : il peut se dispenser d'exécuter, au risque,
le cas échéant, de réparer plus tard les conséquences
dommageables de son comportement s'il est finalement
jugé fautif (51). L'autre partie devra au contraire remonter
le long cours des débats judiciaires au fond pour contester
la position acquise (52). L'espoir aura changé de camp : le
temps nécessaire à l'action rend en effet peu probable la
résurrection du contrat par le juge (53).
Au vrai, il n'est pas certains que toutes les conséquences
entraînées par la consécration de ces prérogatives unilatérales aient été envisagées (54). Songeons au pouvoir
dont dispose le contractant de fixer la date d'effet de la
résolution unilatérale : ne pourrait-il être utilisé comme
un siège éjectable par le créancier craignant l'ouverture d'une procédure collective à l'égard du débiteur (55).
Reste l'essentiel : ces facultés favorisent la réactivité
des contractants en réduisant le rôle du juge. Leur unilatéralisme a cependant l'inconvénient de ne favoriser la
réactivité que de manière « hémiplégique » et au bénéfice
d'une seule des parties : l'équilibre du contrat pourrait
parfois en être bouleversé, notamment lorsque ces prérogatives se conjuguent aux nouvelles technologies.

B. L'unilatéralisme et la technologie instruments
de déséquilibre ?
Blockchains et autres smart contracts s'inscrivent généralement dans un contexte d'unilatéralisme. Un seul
contractant est souvent détenteur de la technologie dont

(50) C. civ., art. 1226, al. 4 : « Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour
contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution ». Adde Cass. 3e civ., 15 sept. 2015, n° 13-24726 ; Cass. 1re civ., 6 févr.
2013, n° 12-12750. Adde encore CA Paris, 5-4, 7 juin 2017, n° 15/23296.
(51) CA Paris, 4-1, 30 juin 2017, n° 15/22736.
(52) Une pareille question paraît en effet échapper à la compétence du juge des référés telle qu'elle résulte de CPC, art. 808. Comp. T. com. Manosque, 12 oct.
2010, n° 2010003506 : « Constatons que la demande tendant à la résiliation
anticipée du contrat du 26 juillet 2005 aux torts de la SARL X et au paiement d'une clause pénale contractuelle, se heurte à des difficultés sérieuses qui
rendent incompétent le juge des référés ».
(53) La résolution unilatérale fautive devrait ainsi le plus souvent déboucher
sur l'allocation de dommages-intérêts : V. TGI Paris, 3-1, 16 nov. 2017,
n° 16/06303 ; TGI Paris, 3-3, 23 mars 2018, n° 15/18773.
(54) Sur cette question - dans une perspective antérieure à la réforme - v.
Jaouen M., La sanction prononcée par les parties au contrat, préf. Mazeaud D.,
2013, Economica.
(55) Cette possibilité permettrait de contourner les dispositions de C. com.,
art. L. 622-13, selon lequel « nonobstant toute disposition légale ou toute
clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un
contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure
de sauvegarde ».

G A Z E T T E D U PA L A I S - M E r C r E D I 1 9 J U I N 2 0 1 9 - N O h o rs - s é ri e

l'autre n'a pas même la maîtrise intellectuelle : l'acquisition de bitcoin est aussi simple - et onéreuse - que le
mécanisme est complexe. L'unilatéralité se greffe à
l'unilatéralisme : le smart contract éclôt du contrat d'adhésion (56). Le déséquilibre caractéristique du contrat
d'adhésion est renforcé par les nouvelles technologies,
qu'une partie dominante est en position d'utiliser au mieux
de ses intérêts.
Les smart contracts peuvent aussi être utilisés par l'une
des parties pour tirer avantage d'un « fait accompli ».
Ainsi qu'on l'a écrit, « le smart contract assure l'exécution automatique des obligations contractuelles, même
si les parties deviennent récalcitrantes. Le smart contract
permet alors l'exécution forcée du contrat sans avoir besoin de recourir à un juge qui, en principe, doit octroyer
(ou valider) la formule exécutoire » (57). La possibilité de
concentrer entre les mains d'une seule partie les moyens
technologiques et juridiques de placer l'autre devant un
fait accompli qu'il lui faudra contester pour espérer -
peut-être - être rétablie dans ses droits doit inviter à la
réflexion. Le nouvel article 1171 du Code civil (58) et ses
avatars stigmatisant les clauses abusives et les contrats
d'adhésion ne suffiront pas à maintenir les grands équilibres du contrat, d'autant que l'interprétation judiciaire
qu'ils imposent induit lenteurs et incertitudes.
Le développement de ces nouvelles technologies et - dans
une moindre mesure - de ces nouvelles prérogatives est
évidemment trop récent pour qu'il soit tout à fait possible
d'en mesurer les conséquences. Certains se réjouiront
du renforcement de l'efficacité du contrat que permettent
ces nouveaux instruments de réactivité. D'autres observeront que les smart contracts portent en eux le risque
d'une forme renouvelée de l'adhésion, où la puissance
technologique d'une partie lui permet, non plus seulement d'imposer des clauses abusives, mais aussi de se
ménager des processus d'exécution automatisés et se
dispensant du juge. Les smart contract doivent être cantonnés à ce qu'ils sont : de simples applications au service
des volontés. On ne saurait admettre qu'ils soient utilisés
comme instruments virtuels et automatisés de justice privée. Il appartient au législateur et au juge de veiller à ce
que le code informatique ne devienne pas celui des sans
foi ni loi contractuelles : la réactivité du droit des affaires
n'a décidément pas fini d'être sollicitée.
354m1

(56) V. AN, rapp., Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain),
14 déc. 2018, www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i1501.pdf, spéc.
p. 88.
(57) Marique E., « Les smart contracts en Belgique : une destruction utopique du
besoin de confiance », Dalloz IP/IT 2019, p. 22.
(58) C. civ., art. 1171, al. 1er : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non
négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre
significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non
écrite ».

http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i1501.pdf

Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville

Table des matières de la publication Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville