Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 40

Actes de colloque

B. La passivité choisie
Cet acteur économique pourrait alors subir les conséquences d'une passivité choisie. À tout le moins lorsque
sa passivité sera fautive à l'égard d'autrui. Soit parce qu'il
en a été convenu ainsi entre égaux (1), soit parce que, dans
une relation déséquilibrée, autrui n'était pas à même de se
prémunir contre cette passivité (17) et qu'il semblera alors
judicieux d'imposer à l'autre d'agir (2).

1. Entre égaux
Entre égaux, chacun est libre de choisir le comportement qui lui semble le plus adapté et dispose de moyens
juridiques pour réagir, notamment, à la passivité de son
partenaire (a). La passivité ne sera donc sanctionnée que
si elle est qualifiée de fautive (b).

a. Réagir à la passivité
Réagir à la passivité d'autrui fait partie des réactions et
adaptation attendues des acteurs de la vie économique.
Entre égaux, cette obligation de réactivité se révèle tant
lors de la conclusion d'un contrat, par l'obligation de principe de se renseigner (18), qu'au cours de son exécution (19).
Et le législateur offre un certain nombre de solutions aux
cocontractants  : exception d'inexécution (20), faculté de
remplacement (21), action oblique (22), autorisation judiciaire
de procéder à un acte (23)...

"

La passivité ne sera sanctionnée
entre égaux que si elle est qualifiée
comme faute

"

Pourtant, parfois, même entre égaux, un acteur économique dépendra de l'autre. Ainsi du cessionnaire de
créances professionnelles qui interroge en vain le cédé
sur l'état de ces créances (24), de l'auteur d'un préjudice qui se voit imputer les suites que la victime n'a pas
tenté de minimiser (25)... Alors même qu'une réaction peu
onéreuse, voire profitable aux deux parties, serait envisageable, législateur et juge refusent ici, pour l'heure (26), de

(17) Lorsque la passivité est contractuellement choisie, elle ne saurait bien sûr être
reprochée. La chose est plus rare, mais on peut penser, notamment, à l'obligation de non-concurrence par laquelle une personne s'engage à être passive sur
un secteur déterminé d'activité pendant un temps déterminé.
(18) Emptor debet esse curiosus.
(19) L'ancien dirigeant d'une société, caution de celle-ci, ne peut se plaindre de
ne pas avoir été averti de l'octroi d'un nouveau prêt : il aurait dû mettre fin
à son engagement de couverture en abandonnant ses fonctions de direction
(Cass. com., 8 janv. 2008, n° 05-13735 : Bull. civ. IV, n° 1 ; Legeais D., RTD
com. 2008, p. 405 ; D. 2008, AJ, p. 474, note Avena-Robardet V. ; RTD
civ. 2008, p. 329, obs. Crocq P. ; BJS mars 2008, n° 040, p. 182, note Barbièri J.-F. ; RDC 2008, p. 421, note Houtcieff D.).
(20) C. civ., art. 1217.
(21) C. civ., art. 1222.
(22) C. civ., art. 1341-1.
(23) C. com., art. L. 145-16 ; Cass. com., 19 févr. 1963 : Bull. civ., n° 110 : autorisation judiciaire de procéder à la cession d'un bail commercial en l'absence
de réponse du bailleur.
(24) Cass. com., 24 mai 1994, n° 92-16232 : RTD com. 1994, p. 761, note
Cabrillac M.
(25) Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n° 00-22302, préc.
(26) Dans l'attente de l'introduction d'une obligation de minimiser son dommage
prévu par le projet de réforme de la responsabilité civile...

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sanctionner la passivité. On pourrait alors se prendre à
imaginer, comme un miroir à l'article 1221 du Code civil
dans sa rédaction issue de l'ordonnance de 2016 (27), une
obligation de réagir à toute sollicitation si cela n'implique
pas « une disproportion manifeste entre son coût pour [le
sollicité] et son intérêt pour le [sollicitant]. »
Cela paraît toutefois excessivement contraire à la liberté
économique. Partant, la passivité ne sera sanctionnée
entre égaux que si elle est qualifiée comme faute.

b. Prouver le caractère fautif de la passivité
Or, prouver le caractère fautif de la passivité d'un acteur
économique suppose de prouver l'existence d'une obligation de réaction. Autrement dit, il faut que la convention
des parties, la nature de l'opération ou une circonstance
particulière donnent un sens à la passivité pour qu'elle soit
qualifiée de dol (28), d'abstention fautive (29), de négligence...
La faute peut d'abord résulter de la violation d'un engagement de réactivité (30), serait-il implicite. Ainsi des
mandataires sociaux tenus comme tels soit de contrôler la
gestion sociale, soit de diriger la société au mieux de ses
intérêts. À défaut, leur passivité a pu être qualifiée de faute
de gestion justifiant, le cas échéant, une action en comblement de l'insuffisance d'actif (31). Ceci alors même que le
mandat serait exercé gratuitement (32) ou que les parties se
seraient mises d'accord sur le caractère fictif de l'engagement (33). Un doute naît aujourd'hui sur la persistance de
cette solution alors que, depuis que la loi n° 2016-1691,
dite Sapin 2, du 9 décembre 2016, la faute de gestion justifiant l'obligation en comblement de l'insuffisance d'actif ne
peut plus résulter d'une simple négligence (34). Toutefois,
non seulement la passivité peut confiner à l'incompétence, constituant alors une faute lourde (35), mais encore
la passivité choisie pourrait être considérée comme une
faute intentionnelle. Et l'on pourrait relever, en faveur du

(27) C. civ., art. 1221 : « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure,
en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il
existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne
foi et son intérêt pour le créancier. »
(28) Cass. 1re civ., 14 avr. 2010, n° 08-20386 : Dalloz actualité, 4 mai 2010, Guiomard P.
(29) V. par ex. Cass. com., 26 mai 2004, n° 02-11944.
(30) Pour une obligation de conseil assumée par une banque à l'égard de son client
emprunteur : v. not. Cass. com., 30 oct. 2012, n° 11-21826.
Pour une clause d'objectif visant à éviter la passivité dans un contrat de concession exclusive : Cass. com., 16 déc. 1997, n° 96-14515.
(31) Tant à l'égard des administrateurs de sociétés anonymes manquant à leur
devoir de contrôle (Cass. com., 31 janv. 1995, n° 92-21548 : Bull. civ. IV,
n° 29 ; Rev. sociétés 1995, 763, Guyon Y. ; RTD com. 1996, p. 543,
Haehl J.-P. - Cass. com., 12 janv. 1998, n° 85-18764 ; Cass. com., 10 mars
2004, n° 01-03004 ; Cass. com., 30 mars 2010, n° 08-17847 : Bull. civ. IV,
n° 69 ; D. 2010, p. 1118, obs. Salomon R. ; D. 2010, p. 1678, note Dondero B. ; D. 2010, p. 2802, obs. Hallouin ; Rev. sociétés 2010, 304, note Le
Cannu P. ; RTD com. 2010, p. 377, obs. Le Cannu P. et Dondero B. - Cass.
com., 31 mai 2011, n° 09-13975 : Bull. civ. IV, n° 87 ; Dalloz actualité, 9 juin
2011, obs. Lienhard A.), qu'à l'égard des dirigeants manquant une opportunité (Cass. com., 9 janv. 1996, n° 93-12576 ; Cass. com., 23 juin 1998,
n° 95-21458).
(32) Cass. com., 1er avr. 1981, n° 79-15815 : Bull. civ., n° 175.
(33) Cass. com., 4 mars 2003, n° 98-18563.
(34) C. com., art. L. 651-2, tel que modifié par la L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016.
(35) Celle « si grossière qu'elle paraît faite exprès » : Malinvaud P., Fenouillet F. et
Mekki M., Droit des obligations, 14e éd., 2017, LexisNexis, n° 634.
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