Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 47

Actes de colloque

Ce sont ces deux temps de la compliance qui seront
étudiés.

B. Les exigences de la compliance, affirmation
d'une internalisation de ces nouveaux défis

I. LES EXIGENCES DE LA COMPLIANCE,
EXPRESSION DE L'ADAPTATION
DES ENTREPRISES À LEUR NOUVEL
ENVIRONNEMENT

Dépassant les simples engagements volontaires des
principes internationaux de droit souple, on a assisté
à l'essor de nouvelles lois contraignantes intervenues
dans différents espaces (7), qui tendent à dessiner une
galaxie en expansion (8). Ce phénomène se décline sous
le visage d'une multiplication de législations nationales
contraignantes dont les principes s'orientent vers des
problématiques communes, mais sous des formes spécifiques au pays ou au système politico-légal qui les met en
œuvre, sa culture et ses traditions. Ainsi en est-il de la loi
créant des obligations de reporting sur les mesures prises
pour éliminer l'esclavage moderne, tel le UK Modern
slavery Act de 2015, ou de la loi californienne sur la transparence tout au long de la chaîne d'approvisionnement qui
veillent à éviter l'importation de marchandises produites à
l'aide du travail forcé ou de celui des enfants (9).

Les exigences de la compliance se présentent, d'une
part, comme une adaptation aux défis contemporains des
entreprises, et, d'autre part, comme l'affirmation d'une
internalisation de ces nouvelles exigences.

A. Les exigences de la compliance, une adaptation
aux défis contemporains des entreprises
Je pourrais ici me taire et me contenter de renvoyer à la
présentation de M. Rodolphe Saadé sur les défis auxquels
est confrontée son entreprise familiale.

Les exigences de la compliance
peuvent être comprises comme
l'affirmation d'une internalisation
de ces nouveaux défis

C'est tout d'abord le défi du renforcement des exigences
de l'éthique dans le comportement des entreprises qui se
donne à voir : ce qui était accepté hier ne l'est plus aujourd'hui, que ce soit du point de vue des violations des
droits humains ou que ce soit du point de vue des grands
enjeux environnementaux contemporains. M. Saadé nous a
expliqué que son entreprise avait fait le choix d'utiliser des
navires alimentés au gaz afin de ne plus rejeter de soufre
dans les océans. De même, son entreprise a fait le choix
de demeurer en France, en dépit des économies substantielles que lui assurerait une localisation étrangère. Ces
questions fiscales sont aujourd'hui l'un des enjeux les plus
discutés à l'égard des activités des grandes entreprises.
La pratique répandue du name and shame (6) et le développement exponentiel de la circulation des informations
par les réseaux sociaux font craindre aux entreprises des
atteintes à leur notoriété, à leur réputation, qui pourraient
être fatidiques.
Mais c'est ensuite le défi de la mondialisation, du dépassement des structures étatiques qui explique que
l'entreprise soit confrontée à de très nombreuses législations différentes : ces difficultés seront surmontées
par l'adoption d'un code éthique interne à l'entreprise qui
détermine les règles de conduite applicables dans toutes
les filiales internationales. Le code « droits humains » de
Total en est une très bonne illustration qui vient établir
des standards de conduite qui devront être respectés par
toutes les filiales du groupe, y compris dans les pays totalement dépourvus de législation protectrice.
Au-delà de ces défis, les exigences de la compliance
peuvent être comprises comme l'affirmation d'une internalisation de ces nouveaux défis.

(6) Cusacq N., RTD com 2018, p. 471.

Ce phénomène est particulièrement illustré en France
qui s'est récemment dotée de deux nouvelles lois qui
répondent aux mêmes exigences de responsabilisation du comportement des entreprises. La loi Sapin 2 du
9 décembre 2016 s'imposait afin de remettre la France
au niveau des législations étrangères en matière de
lutte contre la corruption alors que son inertie était de
plus en plus vivement dénoncée autant par les ONG tel
Transparency international, que par l'OCDE. La loi sur le
devoir de vigilance du 27 mars 2017 poursuit une tout
autre ambition : voulue par des députés socialistes et
écologistes au lendemain du drame du Rana Plaza, elle
vient répondre au besoin de responsabilisation des entreprises multinationales par l'instauration d'un devoir de
vigilance pesant sur les sociétés mères et les entreprises
donneuses d'ordre. Après un débat vigoureux ayant duré
plus de 3 ans où les ONG et les organisations syndicales
soutenaient l'idée de la nécessité d'un devoir de vigilance,
tandis que le monde des affaires rejetait une telle proposition en raison du fardeau qu'il constituerait pour la
compétitivité des entreprises françaises sur les marchés
européen et mondial, la loi a été adoptée par l'Assemblée
nationale, en troisième lecture, le 23 février 2017. Elle a
été promulguée le 27 mars 2017 à la suite de l'examen de
sa constitutionnalité par le Conseil constitutionnel qui a
rendu sa décision le 23 mars (10) de la même année.
Cette loi vigilance oblige les entreprises françaises d'une
certaine taille à adopter un plan de vigilance conçu spécifiquement pour prévenir les atteintes graves (droits
humains, libertés fondamentales, protection de l'environnement, sûreté, santé et sécurité) et pour gérer les
risques qui en découlent. La dimension préventive du plan
est essentielle (11), celui-ci s'attachant aux risques liés aux
activités des filiales que la société mère contrôle directement ou indirectement, et à celles des fournisseurs et

(7) Martin-Chenut K., « Devoir de vigilance : inter-normativités et durcissement
de la RSE », Dr. soc. 2017, p. 799.
(8) Parance B. et Groulx E., « Regards croisés sur le devoir de vigilance et le duty of
care », JDI n° 1/2018, p. 21, n° 3.
(9) « California Transparency in supply chains Act », 2010, Senate Bill, n° 657.
(10) Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 : JO, 28 mars 2017.
(11) Brabant S. et Savourey E., « Loi relative au devoir de vigilance, des sanctions
pour prévenir et réparer ? », Rev. internationale de la compliance et de l'éthique
des affaires 2017, n° 44.
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