Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 57

Actes de colloque

Et nous avons encore plus besoin aujourd'hui dans notre
pratique des affaires de tenter de préserver l'avenir :

l'aménagement de ce qui a été construit ne peut prospérer
que dans une perspective judiciaire ou arbitrale ;

- d'abord et toujours, par nos anticipations propres (budgets, prévisions en cours d'année, plan d'affaires, études
sur l'évolution des profils de nos clients, veille des textes
législatifs et réglementaires en préparation mais aussi
des orientations du législateur (livre blanc, etc.) ;

- la rédaction des clauses de durée traduit aussi cette
recherche d'un équilibre. S'engager est devenu un acte
anxiogène parce que le monde bouge vite mais aussi parce
l'exécution des engagements n'est ni automatique ni garantie comme indiqué ci-dessus en 1.) ;

- ensuite, dans nos relations avec les tiers et, là, le contrat
est irremplaçable.

- enfin, nous recherchons, à travers diverses formes
d'engagement peu contraignantes (lettres d'intérêt, lettre
d'intention) à progressivement affermir les obligations des
parties au fur et à mesure que le ciel se dégage et que l'on
arrive à dessiner les contours d'une relation future.

Bien évidemment, l'usage du contrat pour dompter l'avenir proche ou plus lointain emprunte des chemins à la fois
plus sophistiqués et plus fragiles que par le passé me
semble-t-il, et ce pour deux raisons principales.
1. Le contrat a perdu de sa superbe et de sa force obligatoire. Les clauses afférentes aux changements de
circonstances font partie de notre paysage normal et
le juge s'invite d'autant plus volontiers dans la sphère
contractuelle que le contrat, même conclu entre professionnels ou acteurs de la vie des affaires, est long, conclu
entre un présumé Goliath et un David revendiqué...
Il faut donc tenir compte de ce nouvel aléa dans nos prévisions et inclure cette dose d'incertitude selon laquelle
le contrat pourra, en dépit de ses termes, être remis en
question et donc nos prévisions bouleversées. La réforme
de 2016 a confirmé cette orientation dans le Code civil,
mais d'autres droits connaissent des évolutions similaires.
À l'inverse, il existe des exemples ou le contrat joue
parfaitement son rôle d'outil de gestion du temps et de
prévision : nous disposons aujourd'hui d'outils puissants
et rodés permettant par exemple de couvrir de manière
satisfaisante les variations de parités monétaires ou du
prix de nombreuses matières premières. Mais il s'agit là
d'un univers financier très normé, clos où les contrats
sont totalement standardisés et où la discipline collective
tient lieu de lois aux acteurs, essentiellement de grands
groupes industriels et des institutions financières.
Préserver l'avenir devient donc difficile car les stipulations
contractuelles ne seront qu'un des nombreux éléments
qui seront pris en compte le moment venu pour préserver
l'avenir.
2. L'anticipation contractuelle est un subtil équilibre
pour le rédacteur :
- prévoir précisément des événements ou des actes qui
vont déclencher des conséquences parfois lourdes apparaît prima facie comme notre mission, mais peut vite
procéder de la schizophrénie... Et se heurter à un échec
dans la négociation ou dans l'exécution ultérieure des
termes convenus : par exemple des promesses de vente
ou d'achat d'actions à un prix déterminé, conditionnées à
la réalisation d'un événement affectant la vie d'une jointventure, la perte ou la suspension d'une exclusivité du fait
du défaut d'atteinte d'objectifs ;
- organiser la flexibilité (clause de revoyure) sans fixer
d'objectifs impératifs et favoriser le maintien du dialogue
(clause de négociation de bonne foi, création de divers
niveaux hiérarchiques successifs de dialogue) sont parfois de bien meilleures protections à long terme. Même
si elles n'apportent pas une solution toute prête, ces dispositions accompagnent utilement une dynamique qui
permettra d'identifier, finalement assez vite, si des contreparties et donc un compromis sont possibles ou bien si

C'est l'incertitude qui est d'expérience le facteur le plus
néfaste dans la pratique des affaires et c'est ce que nous
nous efforçons de canaliser, limiter, repousser.

II. L'EXEMPLE DE LA PRATIQUE
DES ACQUISITIONS D'ENTREPRISES
Cette pratique a été développée depuis plus de 40 ans chez
SEB, le Groupe s'étant construit autant par croissance organique que par croissance externe. C'est donc un poste
d'observation privilégié sur l'évolution des pratiques.
1. Une pratique bouleversée en 20 ans :
- ici aussi, le temps est devenu obsession : les vendeurs
redoutent que les circonstances s'assombrissent, les
candidats à l'acquisition redoutent la spirale de la compétition et cherchent à prendre de vitesse leurs concurrents
connus ou suspectés.
Dès lors, les processus d'enchères dits d'« open bid » sont
devenus systématiques depuis leurs premières utilisations au milieu des années 1980 : rapidité, contrôle absolu
du temps et dynamique de compétition entre les candidats
séduisent les vendeurs ;
- le profil des acteurs a aussi changé : la mondialisation
et l'afflux de liquidités à investir ont promu une nouvelle
sorte d'acteur : les fonds d'investissement qui achètent
dans la perspective de vendre dans un horizon de temps
de l'ordre de 5 ans, ce qui est bien sûr très éloigné des
stratégies d'acquéreurs industriels dits « stratégiques » ;
- ces nouveaux acteurs ont bouleversé cette industrie,
non pas seulement sur l'horizon d'investissement mais
aussi sur la manière de construire les transactions : les
fonds étant appelés à être dissous après la cession de
leurs investissements pour verser à leurs clients le produit net des ventes et donc rémunérer l'épargne confiée,
le jeu classique des garanties d'actifs et de passifs a été
remis en cause : plus de garanties, ou très peu au bénéfice
d'un temps d'évaluation et d'audit plus fouillé et aussi plus
structuré ; les vendeurs eux-mêmes rédigent et préparent
des rapports d'audit mis à la disposition des candidats à
l'acquisition ;
- les garanties d'actifs et de passifs s'appauvrissent dans
leur étendue, leur durée et leurs conditions de mise en
œuvre. La négociation devient vite tendue car elle s'insère
dans un processus compétitif où les demandes d'amélioration des garanties formulées par les candidats vont
peser, parfois autant que le prix proposé, dans l'appréciation des offres par les vendeurs ;
- les vendeurs incitent dès lors les acquéreurs à souscrire
des polices d'assurance spécialisées sur ce type d'opérations pour qu'ils se substituent aux vendeurs. Cet exercice
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