Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 66

Actes de colloque

dans la seconde procédure, le texte ne lui interdit pas, s'il
le souhaite, de déclarer de nouveau sa créance dans la
nouvelle procédure, l'arrêt relève que les deux créances
à nouveau déclarées par la banque sont justifiées et ne
sont pas spécialement critiquées par le débiteur ; que par
ce seul motif, la cour d'appel, qui n'a pas relevé d'office
un moyen, qui était dans le débat, a légalement justifié sa
décision ; que le moyen n'est pas fondé ».
Cette règle jurisprudentielle a été posée en 2003 (8) et a été
rappelée à plusieurs reprises, sous réserve de la régularité de la déclaration de créance (9). L'assemblée plénière
dans l'arrêt du 10 avril 2009 (10), au visa des articles 1351
du Code civil, L.  621-43 et L.  621-82 du Code de commerce (dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-845
du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises) relève
« qu'en l'absence d'identité de parties, l'admission ou le
rejet de la créance dans la première procédure collective
n'a pas autorité de la chose jugée dans la seconde ouverte
à l'encontre du même débiteur ». L'absence de l'un des
éléments de l'autorité de la chose jugée, à savoir l'identité
des parties, justifie l'absence d'autorité de la chose jugée :
c'est parce que le mandataire judiciaire de la seconde procédure représente la collectivité des créanciers, laquelle
n'est pas la même dans la première procédure que dans
la seconde, que la solution se justifie (11). La législation a
évolué, mais le créancier conserve en quelque sorte une
seconde chance : en effet, depuis la loi de sauvegarde du
26 juillet 2005, le créancier qui a déclaré à la première
procédure est dispensé de déclarer à la seconde (C. com.,
art. L. 626-27, III). Néanmoins, le créancier admis au passif de la première procédure peut déclarer sa créance
à la seconde pour être admis dans des conditions différentes (12) : s'il le souhaite, il peut déclarer à nouveau
sa créance dans la nouvelle procédure pour obtenir son
admission au passif à concurrence du montant actualisé
de celle-ci.

2. En raison d'une application proportionnée
de l'estoppel : la déloyauté interdit la deuxième
chance !
14. En affirmant un principe selon lequel nul ne peut se
contredire au détriment d'autrui (d'abord énoncé sous
l'appellation d'estoppel (13)), et en le sanctionnant par une
fin de non-recevoir, la Cour de cassation impose aux parties une loyauté procédurale minimale, sans leur interdire
une seconde chance, et sans les empêcher de mettre en

(8) Cass. com., 3 déc. 2003, n° 02-14474 : Bull. civ. IV, n° 190 (au visa de C. civ.,
art. 1351 devenu C. civ., art. 1355, de C. civ., art. 50 et C. civ., art. 80 de la L.
n° 85-98, 25 janv. 1985, dans leur rédaction applicable en la cause
(9) Cass. com., 28 sept. 2004, n° 02-21351 - Cass. com., 12 avr. 2005,
n° 03-21180 - Cass. com., 24 janv. 2006, n° 04-19304 ; Cass. com., 24 janv.
2006, n° 04-19305.
(10) Cass. ass. plén., 10 avr. 2009, n° 08-10154 : Bull. civ. ass. plén., n° 4.
(11) Cf. JCP E 2009, 1814, note Pétel P. ; Act. proc. coll. 2009-6, n° 141, note
Cagnoli P. ; Le Corre P.-M., Droit et pratiques des procédures collectives, 2018,
Dalloz, Dalloz Action, n° 544-11 ; D. 2019, p. 253, note Roussel-Galle P.
(12) Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-15390.
(13) Moreteau O., L'estoppel et la protection de la confiance légitime, 1990, thèse dactyl. Lyon III ; Houtcieff D., « Essai de maïeutique juridique : la mise à jour du
principe de l'estoppel », JCP G 2009, doctr. 463 ; Agostini E., « L'estoppel et
les trois unités », D. 2010, p. 285.

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place des stratégies procédurales successives contraires !
L'estoppel se définit comme un « comportement procédural constitutif d'un changement de position, en droit,
de nature à induire l'adversaire en erreur sur ses intentions » (14). Comme tous les principes à contenu prétorien,
il n'est pas aisé d'en dresser les contours précis. La
Cour de cassation en limite la portée : ainsi, la deuxième
chambre civile écarte les effets, par exemple en exigeant
que la contradiction dans les positions adoptées le soit au
cours d'une même instance. Dans un arrêt du 15 mars
2018 (15), on lit : « Mais attendu que la fin de non-recevoir
tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire
au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale
consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles
entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son
adversaire sur ses intentions ». En outre, la contradiction
ne peut pas s'appliquer entre des moyens soutenus avant
l'instance et durant l'instance (16), ni entre la première
instance et l'appel, en raison de l'article 563 du Code de
procédure civile qui autorise les moyens nouveaux à l'appui des prétentions antérieures (17). Ces limitations sont
justifiées : « l'introduction de cette exigence de loyauté
procédurale se heurte à l'obligation de concentration des
moyens de droit qui pèse sur les parties et peut les mener
à des changements de position en droit qu'il est délicat de
leur reprocher » (18) ! L'irrecevabilité ne s'applique que si
les juges constatent une intention de nuire à l'adversaire :
par exemple, «  une partie ayant revendiqué la qualité
d'exploitant agricole pour obtenir l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, est irrecevable, dans
le cadre de la même procédure, à se prévaloir de la qualité
contraire » (19).

II. UN SECOND EXAMEN DE L'AFFAIRE
PARFOIS IMPOSSIBLE

15. C'est parfois un principe prétorien qui interdit l'instrumentalisation de la justice. Une deuxième chance est
exclue, parce que les parties n'ont pas loyalement exposé la totalité de leurs moyens de droit dès la première
demande. Dans d'autres cas, ce sont les règles de procédure qui permettent de réguler les flux : en appel, aucune
deuxième chance n'est offerte après le prononcé de la
caducité ou de l'irrecevabilité de l'appel !

(14) Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21288, PB.
(15) Cass. 2e civ., 15 mars 2018, n° 17-21991, PB : Dalloz actualité, 6 avr. 2018,
obs. Kebir M. ; Procédures 2018, n° 138, obs. Strickler Y. ; JCP G 2018,
395, note Hablot - Cass. 2e civ., 22 juin 2017, n° 15-29202, PB : Bull. civ.
II, n° 144 ; JCP G 2017, 816, obs. Cholet D. ; JCP G 2017, 1355, n° 5,
obs. Libchaber R. ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, n° 305v9, p. 62, obs. Raschel L. ;
RTD civ. 2017, 725, obs. Cayrol N.
(16) Cass. 2e civ., 22 juin 2017, n° 15-29202 : « il ne pouvait être tenu compte des
allégations antérieures à la procédure de référé pour considérer qu'elles s'étaient
contredites au détriment d'autrui ».
(17) Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-28262, PB : Bull. civ. IV, n° 17 ; D. 2015,
p. 439 ; Gaz. Pal. 16 juin 2015, n° 228s2, p. 29, note Piwnica E. ; Procédures
2015, n° 108, obs. Croze H. ; JCP G 2015, 470, note Fricero N. ; N3C 2015,
n° 85, obs. Mathey N. ; RLDC 2015, n° 126, p. 66, note Bléry C. -
Cass. com., 5 janv. 2016, n° 14-10628. Mais attendu que le principe de la
concentration des moyens ne fait pas obstacle à l'invocation devant la cour
d'appel de moyens nouveaux (CPC, art. 563).
(18) Cass. 1re civ., 3 févr. 2010, n° 08-21288 : D. 2011, p. 271, note Fricero N.
(19) Cass. com., 18 mai 2017, n° 15-26866, D : Gaz. Pal. 13 juin 2017, n° 296m9,
p. 16, concl. Guinamant M.-L.
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