Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 69

Actes de colloque

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RÉACTIVITÉ ET ADAPTATION DANS LA VIE DES AFFAIRES

Rapport de synthèse

354n7

L'essentiel

Aussi bien la réactivité et adaptation dans la vie des affaires ont pris leur place au cœur du processus
décisionnel du législateur, du juge, des contractants et de tous les acteurs de la vie des affaires. L'inventaire
de la traduction juridique de ce modèle de comportement révèle sa place tout aussi centrale que croissante,
confinant à un modèle de mutabilité des relations sociales que ne laissait guère présager la conception
originelle du droit, largement fondée sur la permanence et l'immutabilité. Pour bénéfique qu'il soit, ce modèle
n'a-t-il pas des limites ? Ne doit-il pas s'accommoder d'autres modèles pour aboutir à un agencement subtil
des rapports du droit au temps, au fait, à la psychologie humaine ?

Par

I. INTRODUCTION

Un modèle. Réactivité et
Hugo BARBIER
adaptation dans la vie des
Agrégé des facultés
de droit, professeur à
affaires. Voici une qualité,
Aix-Marseille université
la réactivité, et un processus, l'adaptation, qui sont
devenus matriciels dans notre droit des affaires, lequel
entérine toujours davantage ce modèle choisi par, voire
imposé aux, acteurs de la vie des affaires. Mais à quoi
sert-il au juste et quelles en sont les limites ?
Un modèle de rapport du droit au temps. Jacques Mestre
le disait dans son rapport introductif. Avant tout, c'est un
modèle qui propose un certain agencement entre le temps
et le droit, c'est un mode de rapport, parmi d'autres, du
droit au temps. Ainsi, la question de l'adaptation, d'abord,
est celle du temps subi. Le temps conduit inexorablement à l'obsolescence de la norme ; l'érosion du contrat ;
l'altération du business model de l'entreprise ; la déperdition des preuves ou encore l'évolution des demandes
du procès. La question sous-jacente est celle de savoir
dans quelle mesure l'on doit donner licence aux parties
concernées d'adapter l'instrument touché à l'état actuel
de la situation. L'adaptation est donc une actualisation,
une mise à la page de la norme, du contrat, de l'entreprise, du procès.
Or sur ce point justement, il y a eu depuis un certain temps
déjà un changement de paradigme, un nouveau rapport du
droit au temps. Le droit a longtemps été bercé par le mythe
de l'intemporel, nous disait le doyen Jacques Mestre dans
son rapport introductif : des normes immuables pour
assurer la sécurité juridique ; un contrat intangible pour
garantir sa force obligatoire ; une entreprise figée dans
une identité invariable (un objet social pensé une fois pour
toutes, un capital fixe, des engagements des associés non
altérables sauf accord unanime ; et un métier pour la vie
pour les salariés sans égard particulier pour la réorientation et la reconversion) ; un procès cristallisé par son
immutabilité conjuguée à son caractère accusatoire. Cet
idéal est d'ailleurs si ancien qu'on le retrouve même chez
Homère et dans la mythologie. L'enlèvement d'Hélène,
consentante, par Pâris est une rupture de la Moïra, de la
loi du partage olympien. Or Zeus préfère les Troyens car
ils sont plus civilisés. Et pourtant, assis sur le mont Ida,
avec la balance de la justice entre les mains, il finit par
NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.

verser une larme sur les Troyens, se rendre à l'ordre qu'il
a créé et ordonner aux dieux qui soutiennent les Troyens
de laisser gagner les Grecs. C'est cela l'histoire première
de l'Iliade, l'histoire de la loi éternelle qu'il ne faut pas
briser. Avant Antigone et la loi naturelle, il y a eu Ulysse
et la loi éternelle.
Mais cet idéal d'intemporalité, d'inactualité aurait dit
Nietzsche, a perdu de sa superbe et a cédé la place à la
quête inverse de l'actualité brûlante, au culte de l'actuel.
Le droit est sommé d'être actualisé et conjugué au présent. Les lois changent pour être à jour. Les coutumes
même sont, pour beaucoup, balayées, si bien que d'Homère on passe à Shakespeare, qui faisait dire à Hamlet
à leur propos qu'« il y a parfois plus d'honneur à les
briser qu'à les honorer ». Par ailleurs, les mécanismes
d'adaptation du contrat au temps ont fleuri, dont la clause
d'indexation, d'actualisation, etc. Pour l'entreprise, s'observe une relégation bien connue de l'objet par l'activité
sociale, l'assouplissement de la fixité du capital, la formation et l'évolution des compétences du salarié. Pour
le procès enfin, son immutabilité a été relativisée et son
aptitude à l'évolution renforcée.
Quant à la réactivité, elle a bien sûr aussi partie liée avec
le temps mais dans un rapport différent, puisqu'elle ne
renvoie pas au temps qu'on subit mais au temps qu'on
prend, le plus minime possible, pour réagir à une situation. Elle est le rapprochement volontaire des bornes de
l'événement qu'on subit et de la décision qu'on prend. Et
lorsque ces bornes coïncident, on entre dans l'immédiat,
comme dans le smart contract - « contrat auto-exécutant »
nous disait Dimitri Houtcieff - contrat qui s'exécute au moment exact où l'événement attendu se produit, atteignant
l'exécution immédiate, horizon jusque-là inatteignable
pour l'homme.
Sur ce point également, le modèle a évolué. La sagesse
populaire avait un point de vue net sur la réactivité : la
nuit porte conseil, la vengeance est un plat qui se mange
froid, etc., l'incitation à ne pas réagir tout de suite était
dans les esprits. On a longtemps présumé que l'homme
pense mieux quand il pense longtemps, que le temps a un
effet vertueux sur sa réflexion, et l'on a ainsi chanté une
ode au mûrissement. Mais une autre sagesse populaire
est mise en avant aujourd'hui, promotrice de la réactivité :
« la chance passe au petit matin et au grand galop » dit-on
parfois. C'est dire que l'opportunité d'affaire qui se présente doit être saisie sur-le-champ (v. sur cela la thèse
G A Z E T T E D U PA L A I S - M E r C r E D I 1 9 J U I N 2 0 1 9 - N O h o rs - s é ri e

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