Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 15 septembre 2021 - 27

Actes de colloque
425r8
LE DROIT DE LA CONCURRENCE INCARNÉ OU LES TROIS VISAGES DE L'ENTREPRISE
425r8
L'entreprise victime : le temps de la réparation
Les apports de la directive Dommages, les avancées légales et jurisprudentielles
L'essentiel
Je souhaite exprimer tout d'abord mes remerciements aux organisateurs de ce colloque, les féliciter pour
leur obstination à le maintenir en dépit des rebondissements multiples de la crise sanitaire, et dire tout le
plaisir que nous ressentons tous à être réunis dans cette belle enceinte du Casino de Deauville, pour débattre
d'un thème passionnant à tous égards. Le droit de la concurrence, européen et national, constitue un levier
de première grandeur pour le développement économique de l'Union européenne. Un droit de la concurrence
multipolaire, effectivement. Cinq années après l'adoption de la directive Dommages, quel peut en être le
bilan, du côté des victimes de pratiques anticoncurrentielles ?
Par
Jacqueline RIFFAULTSILK
Doyenne
honoraire de la
chambre commerciale
de la Cour de cassation,
présidente honoraire de
l'association des juges
européens en droit de la
concurrence (AECLJ)
I
ntroduction
Les actions en réparation
des dommages concurrentiels
ont connu au sein de
l'Union européenne, depuis
les années 2000, une profonde
évolution, dont
le
règlement (CE) n° 1/2003
du 16 décembre 2002, la
directive n° 2014/104/UE
du 26 novembre 2014, et la
transposition de cette dernière en droit interne ont marqué
les étapes.
Alors que leur nombre était auparavant voisin de zéro dans
l'ensemble des États membres, leur complémentarité
avec les actions répressives engagées par les autorités de
concurrence, soulignée par le règlement (CE) n° 1/2003
dans son 7e
considérant, est aujourd'hui une réalité.
Elles font l'objet de caractéristiques remarquables, tant
sur le plan européen que national.
Sur le plan européen, c'est un concert où les institutions
européennes ne cessent de faire entendre leurs voix :
- la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE),
créatrice de normes essentielles, tels les principes d'équivalence
et d'efficience devant lesquels cède le principe
d'autonomie procédurale reconnu aux États membres de
l'Union ;
- la Commission européenne à laquelle reviennent non
seulement la mise en œuvre de ces bases fondamentales
- notamment lors de l'élaboration de la directive
Dommages n° 2014/104/UE du 26 novembre 2014 -, mais
aussi la création de recommandations et guides pratiques
diffusés dans toute l'Europe à l'intention de toutes les
parties prenantes, entreprises, avocats, économistes... et
juridictions ;
- la CJUE, encore, par les clarifications et les compléments
sans cesse apportés à cet édifice.
En droit interne français, les actions privées en réparation
de dommages concurrentiels font l'objet d'une
organisation juridictionnelle placée sous le signe du partage
(entre les juridictions judiciaires et administratives),
NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.
GAZETTE DU PALAIS - mercredi 15 septembre 2021 - N O hor s-sér ie 27
caractéristique à laquelle s'ajoute, en matière judiciaire
tout au moins, un principe de spécialisation.
On rappellera brièvement à cet égard qu'en France, en
droit de la concurrence, il a été décidé d'emblée - et
approuvé par la Conseil constitutionnel (Cons. const.,
23 janv. 1987, n° 86-224 DC) -, que les recours formés
contre les décisions de sanction prises par le Conseil
de la concurrence (devenu l'Autorité de la concurrence)
seraient portés devant la juridiction judiciaire en dépit de
leur nature administrative, ce afin d'éviter des contradictions
dans l'application du droit de la concurrence dès lors
que les juridictions judiciaires non seulement répressives
pour la mise en jeu de la responsabilité pénale, mais aussi
civiles et commerciales sur les questions de responsabilité
civile, sont principalement en charge de ces affaires.
Il a toutefois été décidé, lors de la transposition de la
directive Dommages, que les juridictions administratives
auraient compétence pour connaître des actions privées
fondées sur la violation de règles de concurrence ayant un
lien avec l'attribution ou l'exécution d'un contrat public, et
ce même en matière de responsabilité civile délictuelle,
conformément à la doctrine définie par le Tribunal des
conflits (T. confl., 16 nov. 2015, n° 4035).
Il s'y ajoute, mais seulement en matière judiciaire, un
principe de spécialisation en vertu duquel seuls ont compétence,
pour connaître de ces actions, huit tribunaux de
commerce et huit tribunaux de grande instance en première
instance, les recours contre leurs jugements ne
pouvant être portés que devant la cour d'appel de Paris.
S'agissant de la procédure et du fond, l'originalité des
actions en réparation de dommages concurrentiels a également
suscité de fréquentes interrogations.
Cette brève présentation s'attachera à en donner quelques
illustrations. D'abord, sur l'application des règles de compétence
internationale et interne (I) - devant quel juge
national porter sa demande ? - également sur celle des
règles relatives à la prescription (II), à la qualité à agir
ou à défendre (III), aux questions de procédure (IV), enfin
aux conditions de la responsabilité civile (V) s'agissant
en particulier de la preuve de la faute et de l'existence
du dommage, ainsi que du lien de causalité, au regard
des présomptions nouvelles posées par la directive
dommages.
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