Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 15 septembre 2021 - 38

Actes de colloque
peut en réalité masquer des différences selon les pays :
selon Julian Clarke et Simon Evenett (J. Clark, S. Evenett,
The deterrent effects of national anticartel laws : evidence
from the international vitamins cartel, 2003, The Antitrust
Bulletin, p. 689-726.), les cartels ajusteraient le surprix
en fonction du risque antitrust perçu dans chaque pays.
Dit en d'autres termes, les pays en voie de développement
risquent d'être plus durement touchés par les hausses de
prix qu'un pays comme les États-Unis, qui dispose d'un
arsenal antitrust efficace.
Face à ces grands cartels internationaux, les pays développés
ont résolument renforcé leur lutte à partir des
années 2000. En vertu de la théorie des effets, selon
laquelle tout État peut poursuivre une pratique mise en
œuvre sur son propre territoire, quelle que soit la nationalité
de l'entreprise, de nombreux cartels internationaux,
rassemblant des entreprises de différents pays et fixant
les prix sur des continents entiers, ont été condamnés, à
l'image du célèbre cartel des vitamines. L'Europe a ainsi
changé de braquet après 2000, en infligeant des sanctions
pécuniaires de plus en plus lourdes et en recourant à la
politique de clémence (E. Combe, Vers des prix personnalisés
?, 2019, Fondapol) : sur 29,8 milliards d'euros de
sanctions infligées à l'encontre de cartels au cours de la
période 1990/2018, 29 milliards ont été imposées après
2000. À titre d'exemple, la Commission a infligé, en 2019,
368 millions d'euros de sanctions à trois entreprises pour
avoir formé une entente sur la fourniture de ceintures de
sécurité, d'airbags et de volants de direction à des producteurs
d'automobiles européens. Les trois fournisseurs
étaient tous... non européens, tandis que les victimes de
l'entente étaient européennes.
vitamines (1999), pas moins de 50 dirigeants non américains
ont été extradés et ont effectué des peines de prison
sur le sol américain dans le cadre d'affaires de grands
cartels internationaux.
Alors que les pays développés ont décidé de lutter fermement
contre les cartels internationaux qui affectent leur
propre territoire, ils n'ont pas manifesté la même ardeur
à l'encontre des cartels à l'exportation, mis en œuvre par
leurs propres entreprises hors de leur territoire. Certains
pays comme les États-Unis ont même instauré un régime
d'exemption de ce type de cartel, avec le Webb Pomerene
Act (1918). Ces cartels à l'exportation visent tout particulièrement
les pays en développement et leurs causent des
dommages importants : ainsi, Marc Ivaldi, Frédéric Jenny
et Aleksandra Khimich (M. Ivaldi, F. Jenny, A. Khimich,
Cartels damages to the economy : an assessment for developing
countries, 2016, Document de travail PEDL) ont
mesuré l'impact de 200 cartels mis en œuvre dans 20 pays
en développement et émergents, au cours de la période
1995/2013. Ils montrent que les ventes affectées par ces
pratiques représentent en moyenne 0,9 % du PNB d'un
pays mais peuvent atteindre jusqu'à 6,38 %. Le dommage
causé aux consommateurs, au travers d'un surprix, peut
atteindre jusqu'à 0,8 % du PNB.
De leur côté, les États-Unis ont plutôt privilégié depuis
2000 l'arme des sanctions pénales à l'encontre des individus
qui ont pris part à des pratiques de cartel : au cours
de la période 2009/2018, pas moins de 524 individus, américains
ou non, ont été poursuivis. 264 d'entre eux ont été
condamnés à des peines de prison ferme, d'une durée
moyenne de 19 mois, et 90 à des peines d'assignation à
domicile. La justice américaine a également eu tendance
à élargir le champ de la responsabilité pénale, en poursuivant
plusieurs salariés de la même entreprise : dans le cas
du cartel des vitamines, 6 dirigeants d'Hoffmann-La Roche
ont été ainsi inculpés. Plus encore, depuis le cartel des
38
GAZETTE DU PALAIS - mercredi 15 septembre 2021 - N O
L'impact négatif de ces cartels à l'exportation a incité les
pays émergents et en développement à se doter d'une
politique antitrust depuis les années 2000. Toutefois, l'effectivité
d'une telle politique reste limitée, compte tenu
de la difficulté d'accès aux preuves d'une entente internationale,
lorsque cette dernière est mise en œuvre par
des entreprises dont les sièges sociaux sont localisés
dans des pays développés. La coopération avec les pays
développés apparaît également peu probable, compte
tenu de l'asymétrie des intérêts en jeu. De même, l'idée
d'une autorité supranationale de concurrence, qui aurait
comme fonction objectif le bien-être mondial et lutterait
contre tous les cartels, n'a aucune chance de voir le jour.
La seule option pour les pays en développement consiste
à créer une coalition de pays, pour pouvoir peser dans
les instances internationales telles que l'OCDE, afin de
dénoncer les effets néfastes des cartels à l'exportation.
La tentation du cloisonnement entre pays. Le processus
de mondialisation permet également aux consommateurs,
à l'intérieur d'un même espace juridique, de choisir le lieu
dans lequel il souhaite acheter leurs produits. Tel est
le cas en Europe, où le principe de libre circulation des
marchandises implique que toute personne qui réside en
Europe puisse procéder à des arbitrages géographiques,
notamment pour tirer parti des différences de prix.
En effet, il est assez fréquent que les entreprises appliquent
des prix différenciés selon les pays, pour un
même bien et service (E. Combe, Vers des prix personnalisés
?, 2019, Fondapol). Ces différences de prix s'expliquent
par de multiples facteurs, notamment par l'intensité variable
de la concurrence : une moindre concurrence dans
un pays conduira, toutes choses égales par ailleurs, à des
prix plus élevés. Une politique de prix différenciés dans
l'espace peut également résulter d'une stratégie de discrimination
spatiale, consistant à tirer parti des différences
de sensibilité au prix des clients. Par exemple, dans un
pays où les consommateurs manifestent une forte préférence
pour un produit (c'est-à-dire une faible élasticité au
hor s-sér ie
Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 15 septembre 2021

Table des matières de la publication Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 15 septembre 2021
