Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 15 septembre 2021 - 64

Actes de colloque
En outre, la promotion des champions conduit aussi à surveiller
de près la mobilité du capital et les investissements
étrangers. Le contrôle des investissements étrangers
s'est intensifié ces dernières années, aux États-Unis, en
France et en Europe. Le principal motif invoqué est celui
du caractère stratégique des actifs. Mais l'emploi n'est
jamais très loin, car le caractère stratégique est aussi
associé à des compétences.
La crainte de l'entrée de capitaux étrangers est contradictoire
avec les efforts en faveur de l'attractivité. D'où ici
aussi beaucoup d'ambivalence. On accueille avec bienveillance
les capitaux étrangers mais pas la prise de contrôle.
Il importe de s'interroger sur ce qui motive rationnellement
l'importance donnée à la nationalité domestique
comme garante d'une meilleure stratégie pour les emplois
et le bien-être économique national. Derrière l'actionnaire
de nationalité étrangère, il y a la crainte que l'ancrage territorial
disparaisse. Mais on l'a vu plus haut, ce dernier
dépend principalement de facteurs objectifs. A priori, ce
n'est pas la nationalité qui va interférer dans les décisions
économiques et cela, même s'il existe des facteurs hors
coût de production direct qui relèvent des interactions
humaines avec les partenaires (administrations, clients,
fournisseurs, syndicats) qui peuvent cependant à la marge
jouer.
Reconnaissons que des apports de capitaux qu'ils soient
étrangers ou domestiques augmentent la taille des entreprises
et ses capacités d'investissement : l'augmentation
des actifs augmentent l'emploi. Cela peut cependant
augmenter la concentration, mais dans l'hypothèse de
marché des capitaux parfaits, cette allocation du capital ne
devrait pas être au détriment de l'état de la concurrence
mondiale. De plus l'apport de capitaux étrangers apparaît
comme un moyen d'augmenter l'envergure internationale.
Le refus de capitaux étrangers en l'absence d'investisseur
domestique peut s'avérer défavorable à l'emploi.
En définitive, dans la concurrence mondiale, le territoire
devient la justification des entorses à la concurrence et
souvent au nom de l'emploi, sans que cette justification
soit réelle.
III. CONCLUSION
La vision standard d'une causalité directe positive entre
concurrence et emploi est très loin d'une réalité où interfère
non seulement des conditions variées d'émergence de
la concentration, mais aussi des motifs de souveraineté.
Non seulement la révolution numérique bouscule les relations
entre concentration et emplois mais une nouvelle ère
de politique industrielle se dessine dans le contexte d'une
course technologique entre les grandes puissances.
On assiste d'un côté à un débat économique sur les causes
de la concentration et à une intensification du contrôle des
entreprises numériques et, d'un autre côté, à des velléités
politiques de construction de consortium technologique de
grande taille seul à même de lever suffisamment de fonds
nécessaires aux innovations de rupture.
Dans la course technologique mondiale, les projets européens
d'intérêt commun se fondent sur la volonté de ne
pas subir de futurs excès de pouvoir dans des technologies
critiques mais aussi sur la volonté de territorialiser
les emplois de production en Europe.
Si ces consortiums technologiques deviennent des succès
commerciaux, les pouvoirs publics pourraient se retrouver
dans la situation de devoir réguler les monstres technologiques
qu'ils ont eux-mêmes créés.
Cela montre la difficile position de l'Union européenne et
explique la prudence avec laquelle elle opère en matière
de politique industrielle. L'arbitrage entre concurrence et
emplois se pose alors avec acuité. Le risque est de choisir
une position médiane qui la conduise à un échec sur le
front de la course technologique et de l'emploi. Le sujet de
la concurrence devrait être considéré ex post une fois que
la rente d'innovation - si les consortiums y parviennent -
sera constatée et devra être contestée à nouveau.
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GAZETTE DU PALAIS - mercredi 15 septembre 2021 - N O
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