Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 27 juin 2023 - Les nouveaux défis lancés à la gouvernances des sociétés - 23

Actes de colloque
en déclinant les implications concrètes ou en en éclairant
l'interprétation). On en voit un exemple à travers les lignes
directrices développées par l'HATVP qui ont vocation à
« éclairer les représentants d'intérêts en explicitant les
notions figurant dans la loi et son décret d'application et
en formulant des recommandations » ;
- à favoriser l'harmonisation des pratiques tout en
laissant une marge de manœuvre pour y parvenir
grâce, notamment, au recours à la règle « appliquer ou
expliquer » ;
- à œuvrer à un changement de culture organisationnelle ;
- ou encore à compléter le « droit dur » par des règles
plus exigeantes comme c'est le cas pour le Code AfepMedef
de gouvernement d'entreprise des sociétés cotées.
À ces avantages mis en avant par l'étude du Conseil d'État,
on peut ajouter que ces normes de droit souple responsabilisent
les acteurs concernés (on respecte mieux ce que
l'on s'est imposé à soi-même) et sont particulièrement
adaptées aux réalités de l'entreprise car elles évoluent
plus facilement que la loi ou le règlement.
"
L'essor des codes de conduite
au cours des dernières décennies est
ainsi révélateur des défis auxquels
les États font face aujourd'hui
de prudence que le doyen Carbonnier avait formulé ainsi
à l'intention de « nos hommes de gouvernement (...) : " Ne
légiférez qu'en tremblant " » (8)
. Il s'agit, en somme, de
tracer une ligne de partage entre, d'un côté, un domaine
où l'intervention du « droit dur » est incontournable et,
de l'autre, un domaine où la société est en mesure de
faire émerger des normes qu'il n'y a pas lieu d'enfermer
a priori dans un carcan uniforme (9)
. Les codes de conduite
trouvent toute leur utilité dans cette sphère de flexibilité.
III. LA GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
EST UN DOMAINE PROPICE À
L'ÉMERGENCE DE CODES
DE CONDUITE
"
En pratique, les codes de conduite sont très importants
pour l'organisation d'activités globalisées telles que celles
des entreprises multinationales : ils permettent d'identifier
des standards de comportement unifiés notamment
sous la pression des investisseurs qui investissent sur une
base transnationale. La Commission européenne a soutenu
cette approche : dans sa recommandation sur le rôle
des administrateurs non exécutifs de 2015 (7)
, elle a indiqué
qu'« étant donné la complexité de nombre des questions
en jeu, l'adoption de règles contraignantes détaillées n'est
pas nécessairement la façon la plus opportune ni la plus
efficace d'atteindre les objectifs poursuivis ». Elle a relevé
que, dans la plupart des États membres, les codes de gouvernement
d'entreprise fonctionnent sur le principe « se
conformer ou expliquer » et que cette approche permet
aux sociétés de s'adapter aux impératifs propres à leur
activité, tout en permettant au marché d'apprécier les
explications fournies.
L'essor des codes de conduite au cours des dernières décennies
est ainsi révélateur des défis auxquels les États
font face aujourd'hui. Comment prétendre réglementer
activement un monde complexe qui se décompose en une
quantité de sphères techniques très spécialisées et en une
kyrielle de groupes sociaux ayant chacun leur représentation
du bien et du juste ? La réponse passe par un principe
À partir des années 1990, on a assisté à une vague d'adoption
de codes de conduite spécifiquement dédiés à la
gouvernance d'entreprise. Les professionnels ont généralement
été impliqués dans l'élaboration des codes, selon
des modalités variables suivant les États. Il existe à présent
un ou quelques codes de gouvernance d'entreprise de
référence dans presque tous les États. En France, du côté
des émetteurs, les deux codes de référence sont, d'une
part, le Code de gouvernement d'entreprise des sociétés
cotées (dit « Code Afep-Medef ») et, d'autre part, le Code
de gouvernement d'entreprise Middlenext pour les valeurs
moyennes.
Ces codes de gouvernance d'entreprise régissent des
questions selon les cas très techniques et/ou appelant des
réponses différentes en fonction du contexte d'application,
par exemple la définition d'un administrateur indépendant.
Sur certains sujets, ils renforcent les exigences
légales, par exemple sur le devoir de confidentialité des
administrateurs (10)
. Sur d'autres, ils donnent à la norme
une portée extraterritoriale, par exemple les règles sur le
nombre de mandats des dirigeants mandataires sociaux
qui incluent les mandats exercés dans des sociétés cotées
étrangères extérieures au groupe, là où la loi ne vise que
les mandats dans des sociétés ayant leur siège social sur
le territoire français.
Les codes de conduite viennent ainsi compléter l'action
du législateur, confortant la possibilité pour ce dernier de
se concentrer sur l'édiction des normes fondamentales en
vue de garantir l'intégrité du fonctionnement des organes
sociaux.
(8) J. Carbonnier, « Scolies sur le non-droit », in Flexible droit : Pour une sociologie
du droit sans rigueur, 9e
éd., 1998, LGDJ, p. 45 et s., spéc. p. 47, EAN :
9782275042015.
(9) En ce sens, v. également CE, étude annuelle sur « Le droit souple », 2013,
p. 134-135 : « Il n'est pas souhaitable de voir se développer, dans les instruments
de droit dur que sont les lois et les décrets, des énoncés qui relèvent en réalité
du droit souple et ne sont pas normatifs au sens de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel. Le droit dur a une fonction propre de commandement, qui est
de permettre, de défendre ou d'ordonner, selon la formule de Portalis ; le droit
souple, qui a une fonction différente d'inspiration et d'orientation, doit figurer
dans des instruments distincts qui ne laissent pas de place à l'incertitude sur leur
portée juridique. (...) Le rapport d'une " mission de lutte contre l'inflation normative " ,
confié à A. Lambert et J.-C. Boulard, a pu parler de " délire normatif " .
Bien utilisé, le droit souple peut être l'un des leviers d'un recentrage du droit dur
sur ce qui doit vraiment relever de lui ».
(7) Recommandation de la Commission concernant le rôle des administrateurs
non exécutifs et des membres du conseil de surveillance des sociétés cotées et les
comités du conseil d'administration ou de surveillance.
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GAZETTE DU PALAIS - mardi 27 juin 2023 - n O
hor s-sér ie
(10) S'appuyant sur les dispositions du Code Afep-Medef relatives au devoir de
confidentialité des administrateurs, et insistant sur leur propension à renforcer
l'obligation légale correspondante, v. par ex. T. com. Paris, 1re
2020, n° 201903759, spéc. p. 20.
ch., 10 nov.

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