Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 27 juin 2023 - Les nouveaux défis lancés à la gouvernances des sociétés - 39

Actes de colloque
dernier regard, son champ croise la gestion du risque,
largement réglementée dans certains secteurs, le bancaire
et financier en particulier, qui portent une attention
croissante aux risques dits ESG, même si l'on ne saurait
réduire cette prise en considération générale à de simples
obligations de « compliance » (88)
. Ces enjeux doivent être
pris en considération à la hauteur de leur pertinence, de
leur « matérialité » - au sens anglais du terme - pour la
société, comme pourraient l'être d'autres facteurs, une
forme de banalisation qui a récemment conduit un auteur
à évoquer la fin de l'ESG, pour en saluer paradoxalement
la victoire (89)
.
Dans l'intervalle, les dirigeants sociaux pourront
s'appuyer sur les recommandations émises par les organisations
professionnelles, la soft law venant ici au secours
d'une hard law incertaine (90)
. Le législateur contribuerait
lui-même à la sécurité juridique en s'abstenant d'interventions
intempestives et incohérentes, à l'image de celle
ayant retouché au mois de mars 2022, à l'occasion d'une
loi sur la démocratisation du sport en France (91)
, les articles
L. 225-35 et L. 225-64 du Code de commerce - mais
non l'article 1833 du Code civil -, pour ajouter aux enjeux
sociaux et environnementaux, ceux de nature culturelle
et sportive. Préoccupation post-Covid-19, comprend-on,
mais qui risque d'ouvrir la voie à toutes sortes de revendications
particulières. La même loi procède d'autre part
au remplacement de l'expression « prenant en considération
» par un simple « considérant ». À suivre la distinction
opérée par le Conseil d'État, cet amendement parlementaire,
approuvé par le gouvernement, viendrait donc durcir
l'obligation qui en découle, même si une telle intention
n'a été exprimée à aucun moment des débats et qu'il est
probable que cette modification résulte d'une maladresse
rédactionnelle.
25. Il se peut encore que ce texte soit réformé avant que
son interprétation nationale ne commence à se stabiliser.
La proposition de directive européenne sur le devoir de
vigilance, dénommée Corporate Sustainability Due Diligence
(CS3D), comporte en effet un article 25 sur les devoirs
propres des dirigeants et administrateurs des grandes sociétés
européennes, qui incorpore en le précisant quelque
peu celui introduit par la loi PACTE (92)
. Cet article, baptisé
« devoir de sollicitude », exige en effet des États membres
qu'ils « veillent à ce que, lorsqu'ils s'acquittent de leur
obligation d'agir dans le meilleur intérêt de l'entreprise,
les administrateurs des entreprises visées à l'article 2,
paragraphe 1, tiennent compte des conséquences de
(88) V. aux USA, l'hésitation à appliquer les standards jurisprudentiels utilisés en
matière de compliance, pour les risques ESG non précisément définis par le
droit : v. S. Bainbridge, « Don't Compound the Caremark Mistake by Extending
It to ESG Oversight, Business Lawyer », sept. 2021.
(89) A. Edmans, « Applying Economics - Not Gut Feel - To ESG », 16 mars
2023, (https://lext.so/Tm9Qv1).
(90) Pour les administrateurs, v. not. IFA, « Le rôle du conseil d'administration
dans la prise en compte des enjeux climatiques », nov. 2021 ; « Le conseil
d'administration face aux enjeux de l'économie circulaire », IFA 2021. Comp.
la guidance sur la section 172, élaborée par le GC100.
(91) L. n° 2022-296, 2 mars 2022, visant à démocratiser le sport en France : JO
n° 0052, 3 mars 2022.
(92) A. Pietrancosta, « Codification in Company Law of General CSR Requirements:
Pioneering Recent French Reforms and EU Perspectives », 20 juill.
2022, European Corporate Governance Institute - Law Working Paper
n° 639/2022 (https://lext.so/WAOMe5), nos
47 et s.
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GAZETTE DU PALAIS - mardi 27 juin 2023 - n O
hor s-sér ie
(93) « A director has to act with the care of an orderly and conscientious business
manager », A. Schall, Company Laws of the EU. A Handbook, Beck, Hart,
Nomos, 2020, p. 271.
(94) L'analyse d'impact ajoute que « [l]es administrateurs devraient établir une
forme appropriée d'engagement régulier avec les parties prenantes, c'est-à-dire
les représentants des salariés et d'autres groupes de parties prenantes importants
(tels que les fournisseurs, d'autres entités et les communautés locales le
long des chaînes de valeur) et les organisations non gouvernementales pertinentes
représentant les intérêts de l'environnement, par exemple ». Au-delà,
des consultations liées à l'identification et à l'atténuation des impacts négatifs,
comme expliqué dans la section sur le devoir de diligence, l'engagement
peut prendre la forme de la création d'un groupe consultatif, de consultations
régulières sans établir de structure formelle pour ces consultations, y compris
en utilisant les canaux de consultation existants, comme par exemple avec les
employés.
(95) ECLE, « The proposed Due Diligence Directive should not cover the
general duty of care of directors », 2 août 2022 (https://lext.so/6H45aw) ;
W.-G. Ringe et A. A. Gözlügöl, « Une critique de la politique de l'UE en
matière de gouvernance d'entreprise et de financement durables », RED :
2022/1, (N° 4), p. 148.
(96) A. Pietrancosta, « Codification in Company Law of General CSR Requirements:
Pioneering Recent French Reforms and EU Perspectives », 20 juill.
2022, European Corporate Governance Institute - Law Working Paper
n° 639/2022 (https://lext.so/WAOMe5), n° 7.
leurs décisions sur les questions de durabilité, y compris,
le cas échéant, sur les droits de l'homme, le changement
climatique et l'environnement, y compris à court, moyen
et long terme ». On est à vrai dire assez déconcerté par la
médiocrité rédactionnelle de la version française du texte,
la confusion commise entre l'« intérêt de l'entreprise » et
l'« intérêt de la société », ainsi que l'incompréhension de
la notion anglo-saxonne de « duty of care », traduite par un
hypothétique « devoir de sollicitude », lequel relève plus de
l'éthique de l'empathie que du droit et reflète bien imparfaitement
le contenu d'un devoir principalement orienté
vers l'intérêt de la société elle-même. L'expression « devoir
de diligence », d'ailleurs présente au considérant 63
de la proposition, eut sans doute mieux convenu, mais a
pu faire reculer en raison de l'évocation du devoir de « due
diligence », correspondant au devoir français de vigilance.
Il suffit de rappeler que, là où il existe, y compris sur le
continent européen, ce duty of care des dirigeants n'existe
qu'à l'égard de la société elle-même, et non des tiers (93)
.
Outre la précision relative des horizons et des thèmes à
considérer par les dirigeants (94)
, le texte a la cohérence de
limiter son champ d'application aux plus grandes sociétés
européennes. Mais on est alors amené à s'interroger sur
sa réelle plus-value, dans la mesure où lesdites sociétés
sont soumises, comme nous le verrons, à un devoir
spécifique de vigilance sur les mêmes sujets. De plus, sa
généralité et son incomplétude, notamment sur les questions
de procédure et de sanction, limitent l'apport de
l'article 25 en termes d'harmonisation (95)
.
Il faut se rappeler que la tentative de la Commission européenne
de s'aventurer sur le terrain de la gouvernance
d'entreprise, au motif de sa « durabilité », annoncée
dans le Plan d'action sur le financement de la croissance
de 2018, s'était heurtée à de vives résistances, et
que cet article 25 fait figure de rescapé de propositions
plus intrusives en termes de gouvernance, y compris dans
l'organisation structurelle des sociétés (96)
. La Commission
avait, il est vrai, tendu des verges pour se faire battre
en fondant son intervention sur le postulat hautement
contestable de l'existence d'une inclination court-ter
https://www.lext.so/Tm9Qv1 https://www.lext.so/6H45aw https://www.lext.so/WAOMe5 https://www.lext.so/WAOMe5
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