Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 27 juin 2023 - Les nouveaux défis lancés à la gouvernances des sociétés - 5

Actes de colloque
cinq items prévus par la loi sur le devoir de vigilance suffisamment
détaillés pour ne pas être regardés comme
sommaires, en second lieu, que de très nombreuses
pièces contradictoires sont versées aux débats concernant
des opérations spécifiques d'une grande complexité,
objet du plan de vigilance litigieux, en troisième lieu, qu'il
n'existe aucune réglementation précisant les contours du
standard d'une entreprise normalement vigilante, de sorte
que les griefs et les manquements reprochés à la société
TotalEnergies SE du chef de son devoir de vigilance, au cas
présent, doivent faire l'objet d'un examen en profondeur
des éléments de la cause excédant les pouvoirs du juge
des référés. » Ces décisions, à la motivation très détaillée,
illustrent la difficulté d'application de ces dispositions et
de ces objectifs encore flous. Le débat ne fait que commencer
et augure d'échanges riches et pointus !
Les règles de « corporate governance » sont aussi une
illustration de l'influence de la norme anglo-saxonne dans
le droit européen et le droit français, notamment en réaction
aux poursuites du Department of Justice américain qui
fait application des lois extraterritoriales avec une interprétation
très extensive des différentes lois américaines
depuis le Foreign Corrupt Practices Acts (FCPA) de 1977
pour sanctionner les actes de corruption d'agents publics
à l'étranger. En conséquence, les entreprises françaises,
surtout celles qui sont cotées, et leurs filiales étrangères,
notamment anglo-américaines, doivent adapter
leurs pratiques internes pour se conformer à ces normes
américaines, afin d'éviter de potentielles poursuites qui
peuvent aboutir au paiement d'amendes aux montants
extrêmement élevés et à l'interdiction à l'accès au marché
américain. C'est aussi un facteur de fragilité pour
les entreprises françaises qui adoptent des principes
anglo-saxons qu'elles maîtrisent moins dans leur culture
juridique continentale.
En droit de l'Union européenne, la Commission européenne
a adopté le 12 décembre 2012 un plan d'action sur
le droit européen des sociétés et la gouvernance d'entreprise,
avec pour objectif de « renforcer la transparence
entre la société et ses actionnaires pour améliorer la gouvernance
d'entreprise », et d'« impliquer davantage les
actionnaires ».
Les sociétés sont dès lors très fortement incitées à appliquer
d'autres normes qui, en principe, ne s'imposeraient
pas à elles. Par exemple, l'AFEP et le MEDEF ont élaboré
un code de gouvernement d'entreprise des sociétés cotées,
qui formule certaines recommandations. Ce code est
régulièrement actualisé et a été complété par un guide
d'application publié en mars 2022. Les sociétés, si elles ne
sont pas tenues de suivre les recommandations, doivent
s'expliquer pour justifier ce choix de ne pas les suivre ! La
contrainte n'est donc pas loin.
Les pays de commom law admettent plus facilement le pluralisme
des sources de droit, par rapport aux pays de droit
continental. Se pose donc la question pour le juge français
de la valeur contraignante de ces normes, ce « soft law »,
pour les entreprises qui choisissent elle-même spontanément
de s'y conformer.
Mais comme l'a très justement rappelé mon collègue
et ami Charles Duchaine, directeur général de l'Agence
française anticorruption, dans une interview donnée
récemment à l'association française des juristes d'entreprises,
la compliance ne peut, en soi, suffire. « Le système
ne peut pas fonctionner sans sanction » et qui dit sanction,
dit intervention du juge.
De manière indirecte, la chambre commerciale de la Cour
a déjà eu l'occasion de sanctionner le non-respect d'une
règle de compliance en reconnaissant le bien-fondé d'une
décision de rupture sans préavis de relations commerciales,
en raison de la mise en œuvre par l'auteur de la
rupture de son programme de « compliance » imposé par
son cocontractant. Ainsi, par un arrêt du 20 novembre 2019
(Cass. com., 20 nov. 2019, n° 18-12817), une cour d'appel
a été approuvée pour avoir estimé que, compte tenu des
règles fixées par le programme de « compliance » et de
l'accord conclu avec les autorités américaines dit de poursuites
différées, le manquement de la société victime de
la rupture à ses obligations contractuelles, qui étaient de
communiquer son adhésion et sa certification à la politique
anticorruption du groupe, en ce qu'il était de nature à
engager la propre responsabilité de la société auteur de la
rupture, était suffisamment grave pour justifier la rupture
de la relation commerciale sans préavis.
Ainsi, le refus par une entreprise d'appliquer en interne
des normes de « compliance » qu'elle s'est imposées,
comme elle les a imposées à ses partenaires commerciaux,
peut être invoqué par ces derniers pour justifier une
décision de rupture de relations commerciales.
On peut aussi citer un arrêt récent du 25 janvier 2023 (Cass.
com., 25 janv. 2023, n° 21-17592) par lequel la chambre
commerciale a affirmé que tout intéressé pouvait, sans
qu'on puisse lui opposer la prescription quinquennale de
l'article 2224 du Code civil, exiger d'une société qu'elle
procède au dépôt au registre des commerces et des sociétés
des pièces prévues à l'article R. 123-105 du Code
de commerce, c'est-à-dire les actes, délibérations ou
décisions qui, modifiant les statuts de la société, sont de
nature à en changer la gouvernance.
Voltaire considérait qu'« on peut juger du caractère des
hommes par leurs entreprises ». Aussi, cette obligation de
bonne gouvernance est désormais également portée par
les entreprises elles-mêmes, et ce, et c'est l'objet même
des débats qui vont suivre, de manière plus ou moins
contrainte.
C'est dire l'intérêt tant théorique et pratique du sujet sur
lequel vous avez choisi de porter le fer au cours de ces
deux journées, l'encadrement normatif de la gouvernance
cet après-midi, l'organisation, le fonctionnement et les
finalités de la gouvernance demain.
J'ai débuté mes propos sur le droit français des sociétés
du XXIe
siècle.
siècle par une citation du plus grand dramaturge
anglais du XVIe siècle. Je l'achèverai par une citation d'un
capitaine d'industrie américain qui a marqué le XXe
Ainsi, comme le disait Henry Ford : « Venir ensemble est
un commencement ; rester ensemble est un progrès ;
travailler ensemble est un succès. » Je vous propose de
suivre cette stimulante perspective pendant ces deux jours
de colloque !
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GAZETTE DU PALAIS - mardi 27 juin 2023 - n O
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