Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 27 juin 2023 - Les nouveaux défis lancés à la gouvernances des sociétés - 80

Actes de colloque
composition des conseils d'administration, de l'information
du marché sur la gouvernance, ou du dialogue actionnarial
(79)
délicat (84)
. Ces progrès, fruit d'une mobilisation collective des
acteurs de la Place, doivent beaucoup à l'intensification
et l'élargissement des dispositifs de contrôle externe,
lesquels imposent - depuis l'extérieur - une discipline et
génèrent, de manière moins visible, des comportements
d'autodiscipline. Les avancées sont néanmoins disparates.
Les grandes capitalisations donnent souvent l'exemple et
les meilleures pratiques cachent parfois des réalités plus
critiquables. Des améliorations significatives sont encore
nécessaires.
La question du bon niveau de contrôle externe. Il n'existe
pas de règles communes applicables à tous les acteurs
du contrôle externe. Certains interviennent au titre d'une
mission légale, d'autres de manière informelle. On peut
se demander cependant si certains principes ne devraient
pas être respectés par l'ensemble de ces acteurs, quel
que soit leur statut.
Évoquant le rôle des juristes qui exercent des fonctions
de contrôle, deux auteurs estiment que « ce devrait être
une obligation déontologique pour tout contrôleur que de
ne pas aller au-delà de ce qu'implique sa mission » (80)
.
La déontologie, ajoutent-ils, « commande au contrôleur
de ne pas s'immiscer dans les décisions et les choix du
contrôlé » (81)
. « L'une des obligations de celui qui est
chargé d'un contrôle au premier sens du terme [étant]
de ne pas glisser vers le contrôle au second sens du
terme » (82)
. Qu'en est-il en matière de contrôle externe ?
Le principe de non-immixtion des commissaires aux
comptes dans la gestion, principe qui a émergé en jurisprudence
dès 1889 (83)
, a été consacré expressément par
le législateur en 1966. L'article L. 823-10 du Code de commerce
dispose que « les commissaires aux comptes ont
pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion
dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents
comptables ». En effet, le commissaire aux comptes est
investi d'une mission de contrôle, non de gestion. Il n'est
pas mandataire social et ne saurait donc se comporter
comme tel sans outrepasser les limites de sa mission. Si
le principe de non-immixtion est parfois d'un maniement
, il n'en demeure pas moins un principe fonda,
un code de déontologie définit des règles
mental. Pour permettre aux commissaires de trouver la
juste mesure (85)
de conduite. Dans les situations les plus délicates et en
cas de doute sérieux, les commissaires aux comptes
peuvent saisir, pour avis, le Haut conseil du commissariat
aux comptes.
La montée en puissance du juge en matière de gouvernance
a également pu faire craindre un interventionnisme
excessif du juge dans la vie sociétaire. La jurisprudence
a eu l'occasion de préciser les limites de son intervention
dans la gestion de la société. Est fréquemment cité,
à cet égard, le célèbre arrêt Flandin, dans lequel la Cour
de cassation a jugé que « le juge ne pouvait se substituer
aux organes sociaux légalement compétents et qu'il
lui était possible de désigner un mandataire aux fins de
représenter les associés minoritaires défaillants à une
nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens
des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant
pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires » (86)
. Si
l'étendue de l'intervention du juge en matière de gouvernance
reste un sujet de débat, il est largement admis que
cette intervention se fait « de façon générale avec réserve
et modération, pour ne pas substituer sa propre vision des
choses, voire, comme on a pu l'écrire, son propre gouvernement
à celui des associés » (87)
.
La question de l'adéquation du contrôle se pose également
pour les autorités de contrôle. Si des critiques ont pu être
émises, il est rappelé que les autorités de contrôle interviennent
dans le cadre d'attributions légales et que leur
action est soumise au contrôle du juge (88)
. D'une manière
générale, les autorités de régulation veillent à respecter
le cadre institutionnel. Pour donner un exemple récent
et factuel, pressée par des actionnaires d'enjoindre à un
émetteur d'inscrire une résolution climatique à l'ordre
de son assemblée générale, l'AMF a refusé d'intervenir
dans cette affaire, considérant qu'une telle demande relevait
du juge consulaire. Le 8 mars dernier, le régulateur
boursier a publié un communiqué des plus explicites sur
ce sujet : « L'AMF rappelle qu'elle n'a pas d'autorité pour
apprécier la recevabilité des projets de résolution dont
(79) En 2013, Gérard Rameix relevait qu'« on peut avec réalisme éprouver une certaine
satisfaction sur le chemin parcouru depuis 10 ans. Les sociétés cotées sont
plus transparentes sur leurs pratiques de gouvernance et de rémunération, les
administrateurs sont plus impliqués et diversifiés, le dialogue avec les actionnaires
est plus régulier et constructif. Les soupçons d'endogamie n'ont toutefois
pas disparu, certains abus isolés suscitent l'incompréhension et le principe
" appliquer ou expliquer " ne doit pas se déliter pour devenir une simple " prime
à la rhétorique " ». G. Rameix, « Le point de vue de l'AMF sur le gouvernement
d'entreprise dans les sociétés cotées : retours sur le rapport annuel de l'AMF
sur le gouvernement d'entreprise et la rémunération des dirigeants », in Rapport
moral sur l'argent dans le monde, 2013, Association d'économie financière,
p. 46). V. également P.-H. Conac, « Étude et propositions de l'AMF sur le
dialogue actionnarial », Rev. sociétés 2020, p. 65.
(80) J. Moret-Bailly et D. Truchet, Déontologie des juristes, 2010, PUF, p. 197.
(81) J. Moret-Bailly et D. Truchet, Déontologie des juristes, 2010, PUF, p. 197.
(82) J. Moret-Bailly et D. Truchet, Déontologie des juristes, 2010, PUF, p. 193.
(83) CA Paris, 1er
juin 1889 : cité not. par R. Masson, Les commissaires aux comptes
des sociétés anonymes, thèse, 1936, Paris, Les presses modernes, p. 92, n° 119.
(84) Il a été observé qu'il « demeure l'un des plus controversés de la mission des
réviseurs » (J.-F. Barbièri, « Relèvement de fonctions d'un commissaire dans
un groupe de sociétés : méconnaissance du principe de non-immixtion dans
la gestion d'un groupe », BJS nov. 1992, n° 388, p. 1195). V. également E. du
Pontavice, « Le principe de non-immixtion des commissaires aux comptes à
l'épreuve des faits », Rev. sociétés 1973, p. 599 ; D. Vidal, « L'intervention du
commissaire aux comptes dans la gestion de l'entreprise sociale qu'il contrôle »,
in Mélanges en l'honneur d'Adrienne Honorat, Procédures collectives et droit des
affaires, 2000, Frison-Roche, p. 327.
(85) En pratique, « s'il est fréquent que soient reprochées aux commissaires des
négligences et abstentions dans l'exercice de leurs fonctions, il n'est pas exceptionnel
aujourd'hui qu'il leur soit fait grief d'abuser de leurs prérogatives » (J.F.
Barbièri, « Relèvement de fonctions d'un commissaire dans un groupe de
sociétés : méconnaissance du principe de non-immixtion dans la gestion d'un
groupe », BJS nov. 1992, n° 388, p. 1195).
(86) Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14685 : Bull. civ. IV, n° 101 ; D. 1993, p. 363,
note Y. Guyon ; Rev. sociétés 1993, p. 403, note P. Merle ; RTD com. 1994,
p. 617, étude D. Tricot ; JCP G 1993, 22107, note Y. Paclot ; JCP E 1993,
448, note A. Viandier.
(87) J. Mestre (dir.), Le Lamy sociétés commerciales, 2022, Lamy, n° 1602.
(88) En matière d'actes de droit souple, v. not. CE, ass., 21 mars 2016, nos
368082,
368083 et 368084, Sté Fairvesta International GmbH - CE, ass., 21 mars
2016, n° 390023, Sté NC Numéricable.
GAZETTE DU PALAIS - mardi 27 juin 2023 - n O hor s-sér ie 79
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