Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 25 juin 2024 - Nouvelles technologies : Des Horizons élargis pour les juristes ? - 17

Actes de colloque
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L'impact des nouvelles technologiques sur l'action publique
Intervention d'un grand témoin
L'essentiel
Alors que l'action publique évolue sous l'effet des nouvelles technologies, la Cour des comptes participe à
cette transformation et à son contrôle.
Par
Pierre MOSCOVICI
Premier président de la
Cour des comptes
ans mes fonctions de
Premier président de la
Cour des comptes, j'ai été
régulièrement confronté
à l'impact des nouvelles
technologiques, dont l'inD
telligence
artificielle (IA), sur l'action publique. Ce sujet
particulièrement passionnant, notamment au regard de
l'actualité mais surtout en essayant de décoder les tendances
de fond de la société, mérite que l'on s'y attarde.
Mon propos aujourd'hui pourrait se résumer simplement
en réalité. Notre société est radicalement transformée par
des mutations profondes sous l'effet des nouvelles technologies
(I). Dès lors, notre rapport au service public en
est bouleversé et exige une refonte de l'action publique
qui les intègre (II). Mettre les nouvelles technologies au
service de l'action publique signifie construire un cadre
juridique à la fois confiant dans leur avenir, mais exigeant
(III). Pour conclure et fort de notre expérience, la Cour
des comptes participe déjà, et participera pleinement à
cette transformation de l'action publique, tout en rendant
compte aux citoyens de son impact réel dans leurs vies
quotidiennes (IV).
I. NOTRE SOCIÉTÉ EST RADICALEMENT
TRANSFORMÉE PAR DES MUTATIONS
PROFONDES SOUS L'EFFET
DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
Plus que jamais, l'utilisation des nouvelles technologies
détermine au quotidien les évolutions des politiques publiques.
Ne versons pas dans les clichés, mais la période
que nous vivons est celle d'une transition numérique,
concentrée notamment autour de son dernier artéfact,
l'IA, dont l'ampleur s'apparente à celle de la révolution
industrielle au XIXe
siècle, qui a fait basculer une société
à dominante agraire et artisanale vers une société
commerciale et industrielle. Une telle révolution s'était
accompagnée d'institutions, de nouveaux rapports sociaux,
de nouveaux modèles économiques : notre monde
du XXe
d'euros pour les dix prochaines années en France, soit
autant que la valeur ajoutée de toute l'industrie à ce jour.
Nos rapports sociaux sont et seront également transformés.
Sur le marché du travail, les travailleurs de
plateforme mais aussi les professions du secteur numérique
représentent désormais plus d'1,2 millions
d'emplois en 2022. Plus globalement et sous l'effet conjugué
des révolutions technologiques et de la crise sanitaire,
l'émergence du télétravail touche désormais la moitié des
entreprises françaises depuis 2023.
Dans nos professions juridiques, le numérique est également
un défi. Il suffit aujourd'hui de parler de « justice
prévisible », d'évoquer le parangonnage des montants de
réparations accordés par les juges, pour comprendre les
défis qui sont aujourd'hui posés : souhaitons-nous être
accompagnés par des outils d'aide à la décision dans les
métiers juridiques, et jusqu'à quel point ? Il ne faut pas
céder au fantasme abusif d'une technologie qui devinerait
par avance le sens des décisions des magistrats. En revanche,
nous ne pouvons pas ignorer les transformations
que cela implique sur nos métiers et sur les attentes des
justiciables.
Nos rapports démocratiques sont également heurtés
par le numérique. Devant l'espace de liberté, parfois
d'anarchie, qu'offrent les nouvelles technologies, nous
observons une transformation du rapport des citoyens à
la démocratie, remettant en cause la démocratie représentative
pour une démocratie numérique, participative,
agonistique. Il faut écouter cet appel, surtout lorsqu'il
vient de la jeunesse ; mais l'irruption du numérique s'accompagne
aussi d'images « deep fake » générés par IA, de
traitement algorithmique des données voire de nos opinions.
Le rapport de la commission présidée par Gérald
Bronner, intitulé Les Lumières à l'ère numérique, évoquait
ainsi les « désordres informationnels » et les « perturbations
de la vie démocratique » qui y sont liés : ceux-ci n'ont
jamais été aussi importants en 2024, à l'aube d'une année
électorale riche sur tous les continents et notamment en
Europe et aux États-Unis.
siècle, dans lequel nous vivons encore largement
tout de même, en a été le produit.
Ce que nous vivons et allons vivre avec le numérique est,
en réalité, similaire. Nous le voyons dans les nouveaux
modèles économiques : nous assistons à l'émergence
de nouvelles entreprises, de très grandes entreprises -
notamment américaines et chinoises, pas suffisamment
européennes - qui sont des sources de pouvoir et de gain
économique sans précédent. Les chiffres sont vertigineux :
selon la Commission de l'intelligence artificielle, l'IA devrait
générer des gains pour le PIB de 250 à 420 milliards
NDA : Le style oral de l'intervention a été conservé.
C'est vrai enfin des rapports géopolitiques, puisque
l'ensemble de ces transformations technologiques se
nourrissent l'une l'autre : l'émergence de la Chine qui
concurrence les performances des États-Unis est le reflet
des difficultés de nous autres, Européens. De même que
nous devons apprendre à parler le langage de la puissance
géopolitique et militaire, nous ne pouvons pas disparaître
de ce nouveau paysage concurrentiel.
La diversité des usages du numérique m'empêche d'être
exhaustif mais ce premier aperçu illustre à quel point
l'impact de l'utilisation des nouvelles technologies est diffus
dans l'ensemble de la société. Nous ne pouvons pas
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