Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 25 juin 2024 - Nouvelles technologies : Des Horizons élargis pour les juristes ? - 4

Actes de colloque
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Propos d'ouverture
L'essentiel
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L'association Droit & Commerce a consacré son 48e
colloque à un sujet qui, après d'autres secteurs, agite
le monde du droit. Magistrats, avocats, juristes d'entreprise, administrateurs et mandataires judiciaires,
commissaires de justice et experts judiciaires s'interrogent sur l'impact des nouvelles technologies sur
l'évolution de leurs professions, lorsqu'ils ne se posent pas des questions existentielles face aux progrès
de l'intelligence artificielle (l'IA). Il est vrai que l'augmentation exponentielle des capacités de calcul de
celle-ci, qui lui permet de compiler, trier et analyser des données de façon inaccessible à l'esprit humain
pourrait laisser penser que de nombreuses tâches, qui constituent une partie de leur quotidien, pourront être
réalisées de façon plus rapide et plus efficace que par des femmes et des hommes faits de chair et d'os. Ainsi,
par exemple, on peut raisonnablement considérer que l'ouverture des données judiciaires devrait permettre,
à partir de l'analyse des décisions passées, à des systèmes d'IA d'anticiper la décision à venir. Il est certain
qu'en améliorant ainsi la prévisibilité de la jurisprudence, l'IA favorisera l'harmonisation des jurisprudences
et le développement des modes alternatifs de règlement des différends. Mais si l'arrivée prochaine de ces
outils est inéluctable, elle n'est cependant ni sans danger ni sans limites. C'est sur ces deux derniers points
que j'ai choisi d'ouvrir ce colloque.
Par
Vincent VIGNEAU
Président de la chambre
commerciale, financière
et économique de la Cour
de cassation, écrivain
esdames, Messieurs,
Je suis particulièrement
honoré d'avoir été, une
nouvelle fois, invité à ouvrir
les débats de cet aprèsmidi.
Recevez, Monsieur
le président, ma sincère et
profonde reconnaissance.
Je suis heureux d'être aujourd'hui
parmi vous pour
enrichir ma compréhension
du droit par les réflexions de
ceux qui le vivent, le mettent
en œuvre, l'enseignent ou le
commentent.
Ce rendez-vous annuel de
Deauville est l'occasion pour
tous ceux qui s'intéressent au droit des affaires d'échanger,
de croiser les regards et, finalement, de contribuer au
développement d'une intelligence collective sur l'évolution
de cette matière.
Vous aviez choisi en 2023 de réfléchir sur les nouvelles
règles de gouvernance des sociétés. Cette année encore,
vous avez décidé de porter le fer sur un sujet dont
la germination n'est pas encore achevée et dont on peut
légitimement se demander s'il ne va pas nous conduire
vers de nouveaux paradigmes. Les travaux de ce colloque
feront peut-être démentir Georges Orwell lorsqu'il écrivait
dans 1984 que « la réalité existe dans l'esprit humain
et nulle part ailleurs ». La question sera, pendant ces
deux journées de colloque, de savoir dans quelle mesure
et dans quelles hypothèses, avec le développement de
l'intelligence artificielle générative, le recours à l'esprit
humain et donc à l'esprit du juge sera toujours nécessaire.
Depuis quelques temps, en effet, émerge l'idée que le
développement de l'intelligence artificielle va également
profondément modifier le monde du droit. Il est
NDA : La forme orale de l'intervention a été conservée.
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M
ainsi soutenu, par exemple, qu'il sera possible, à partir
de l'exploitation de diverses données issues de toutes
les décisions rendues sur une question, que ce soient
des données juridiques ou factuelles, de deviner ce qu'un
juge pourrait décider dans un tel cas d'espèce, d'estimer
l'espérance de gain, et d'évaluer la durée prévisible d'une
procédure. Bref, pour reprendre l'expression de mon ami
Bruno Dondero, on nous promet la fin de l'aléa judiciaire (1)
.
En offrant la possibilité d'approcher au plus près de la réalité
judiciaire, les legaltech proposent ainsi « de rendre
transparent un niveau de réalité qui était jusqu'à présent
inaccessible » (2)
. M. Fabrizio Papa Techera nous dira certainement
où en sont ces entreprises. Dès lors, les parties
n'auront plus besoin du juge pour résoudre leur différend.
Elles trouveraient ainsi plus d'avantages à s'entendre
plutôt que de saisir la juridiction, ce qui représenterait un
gain de temps et d'argent pour elles et pour les finances
publiques.
Jusqu'à présent, il était possible d'anticiper l'application
par le juge de la règle de droit par des systèmes électroniques
dits experts lorsque cette application était le
produit d'un pur syllogisme logique. Par exemple selon
l'article 19-3 du Code civil, est français l'enfant né en
France lorsque l'un de ses parents au moins y est luimême
né. Untel est né à Paris et sa mère à Lille. Donc
Untel est français. Mais dans de nombreux domaines, la
décision du juge ne résulte pas d'une application aussi
mécanique de la règle de droit. Elle dépend d'infinies circonstances
de fait que le législateur n'a pu anticiper et
qui constituent autant de facteurs d'imprévisibilité. C'est
le cas, par exemple, dans le contentieux de la concurrence
que connaît bien le professeur Emmanuel Combe. Dans
ces domaines, en dépit d'une règle de droit apparemment
précise, le juge dispose d'une large marge de manœuvre,
notamment pour apprécier les dommages et intérêts. La
jurisprudence en matière de contentieux des pratiques
(1) B. Dondero, « Justice prédictive : la fin de l'aléa judiciaire ? », D. 2017, p. 532.
(2) A. Garapon, « Les enjeux de la justice prédictive », JCP G 2017, doctr. 31.
GAZETTE DU PALAIS - mardi 25 juin 2024 - n O
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