Revue - Gazette du Palais - Hors Série du 25 juin 2024 - Nouvelles technologies : Des Horizons élargis pour les juristes ? - 9

Actes de colloque
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Rapport introductif
L'essentiel
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Le droit, activité humaine parmi d'autres, n'échappe pas aux interrogations que suscitent les nouvelles
technologies : quelle sera leur influence dans les années à venir, notamment celle de l'intelligence
artificielle ?
Par
Bruno DONDERO
Agrégé des facultés de
droit, professeur à l'école
de droit de la Sorbonne
(Paris 1), avocat associé,
CMS Francis Lefebvre
1. Les juristes n'ont pas
attendu le développement
des nouvelles technologies
- entendez les moyens
informatiques et numériques
- pour s'interroger
sur l'impact que ces technologies
étaient susceptibles
de produire sur leurs métiers.
Dès 1963, un avocat
américain, Reed C. Lawlor,
décrivait déjà ce que les
ordinateurs pouvaient faire
pour les juristes, à une
époque où l'informatique
n'était encore qu'embryonnaire
par rapport à son
avancée actuelle (1)
. Mais
au-delà de la question des possibilités offertes par l'informatique,
cet auteur donnait un point de vue qui demeure
d'actualité, puisqu'il écrivait : « There is no way that the law
can avoid the scrutiny of science. If the lawyers and judges do
not participate in this work, it will all be done by others ». Si
les avocats et les juges ne participent pas au travail d'analyse
scientifique - informatique précisément - de l'activité
juridique, ce sont d'autres qui le feront. C'est à ce défi que
nous sommes confrontés.
2. Depuis le début des années 2010, le débat est devenu
incontournable : les nouvelles technologies vont-elles
transformer les activités des juristes ? La question
pourrait dérouter : le juriste a-t-il une forme de relation
avec les nouvelles technologies et est-il soumis à leur
influence ? On pourrait penser qu'il y a ce que font les ingénieurs,
dans le secret de leurs centres de recherches,
et il y a ce que fait le juriste. Nous n'avons pas de difficulté
à concevoir que le travail de l'ingénieur et celui de l'informaticien
soient soumis au droit, mais l'influence est-elle
réciproque ?
3. En 2000, le professeur de droit Lawrence Lessig écrivait
un article dont le titre marquait particulièrement l'esprit :
« Code is law » (2)
- le code (informatique) fait la loi. Il y
pointait le danger qu'il y aurait à laisser ce que l'on appelait
alors le « cyberespace » sans régulation, car ce seront
les codeurs, expliquait-il, qui décideront de la manière
dont internet fonctionne si les États ne prennent pas la
main sur la régulation.
NDA : La forme orale de l'intervention a été conservée.
(1) R. C. Lawlor, « What computers can do : analysis and prediction of judicial
decisions », American Bar Association Journal 1963, 49, p. 337.
(2) L. Lessig, « Code is Law - On Liberty in Cyberspace », Harvard Magazine,
janv. 2000. Une traduction en français est disponible ici : https://lext.so/
Wr0L49.
4. Ce n'est pas la même question que nous allons nous
poser dans le cadre de ce colloque, même si nous allons
aussi envisager la possibilité que les codeurs écrivent la
loi ou, plus largement, interviennent dans le processus
juridique (création de la norme, analyse des textes et de la
jurisprudence, conseil juridique, application de la norme).
Dans le cadre de ce rapport introductif, je n'évoquerai pas
le droit de l'internet mais je soulignerai la manière dont
les nouvelles technologies accélèrent nos activités, les influencent,
les modifient, les détruisent parfois, les rendent
inutiles, ou bien encore nous subtilisent ces activités pour
aller les placer dans d'autres mains.
5. Nous connaissons les différentes activités des juristes :
organiser l'équilibre des intérêts dans le cadre d'un
contrat ; rédiger des actes ; défendre les intérêts d'une
partie devant un juge ou un arbitre ; assurer le suivi de
la procédure dans ce contentieux ; trancher le conflit
lorsqu'on est juge ou arbitre ; réfléchir à des moyens
alternatifs de résoudre le conflit ; enseigner le droit et
comprendre ses évolutions, qu'il s'agisse des nouveaux
textes ou de la jurisprudence. En quoi est-ce que les nouvelles
technologies - comprenez l'ordinateur, internet, le
cryptage, la vidéo, le partage des données, l'intelligence
artificielle (IA) - modifient ces différentes activités ?
6. Partons d'une petite histoire que nous allons imaginer
ensemble : celle d'un juriste qui écrit à la plume, qu'il doit
tremper dans un encrier, et qui se dote un jour d'un stylo
à encre, qui lui permet d'écrire beaucoup plus rapidement.
En quoi ce qu'il faut bien qualifier dans ce contexte de
« nouvelle technologie » modifie-t-elle l'une des activités
que nous venons d'évoquer ? A priori en rien, si ce n'est
que l'écrit commence peut-être à perdre son côté solennel,
ce qui peut avoir un impact sur la manière dont on
travaille... Mais laissons notre juriste à sa table de travail
pour le moment, nous le retrouverons un peu plus tard.
7. Le juriste moderne, qu'il soit avocat, magistrat, universitaire,
étudiant, est confronté à des injonctions
contradictoires. Le juriste se voit demander d'être plus
moderne, de recourir à des algorithmes chargés de l'aider
dans ses missions, ce qui doit le conduire à être à la fois
plus rapide et moins cher, mais dans le même temps, il est
confronté à un droit toujours plus foisonnant, toujours plus
complexe, et très mouvant. Il est tentant de se dire qu'on
va mettre de plus en plus de choses dans la machine et
que « l'IA va nous aider » (phrase optimiste souvent entendue),
et en même temps, il y a toujours plus de réflexion
à mener, d'analyse technique comparative à fournir, de
sensibilité à avoir... Ce même juriste, à qui on demande
d'être plus réactif et moins cher, se voit simultanément
demander de fournir une prestation « cousue main », davantage
adaptée aux besoins spécifiques de chacun de ses
clients. Au début des années 2010, la question du recours
aux nouvelles technologies était déjà l'un des éléments
GAZETTE DU PALAIS - mardi 25 juin 2024 - n O
hor s-sér ie
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