Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 19

Actes de Colloque

La France se range finalement à cette solution et est
ainsi adoptée la loi du 24 juillet 1867 (73) dont l'article 21
s'exprime ainsi : « À l'avenir, les sociétés anonymes pourront se former sans autorisation du Gouvernement » (74).
Cette libéralisation s'opère donc au cours de l'année
1867, qui voit aussi le début de l'Empire libéral, l'empereur Napoléon III faisant de plus en plus de concessions
politiques (75). C'est encore cette même année qu'est
supprimée la contrainte par corps, la prison pour
dettes, qui existait en matière civile comme en matière
commerciale (76).
Cette loi du 24 juillet 1867 apparaît comme un très bon
exemple de « réalisme ». Elle marque aussi une rupture dans les relations entre le pouvoir politique et le
commerce (77). En effet, l'exposé des motifs manifeste un
nouvel état d'esprit à l'égard du commerce qui n'a plus
à être placé sous tutelle, du propre aveu du rapporteur
de la loi qui reconnaît que si auparavant « il était juste
de demander au législateur qu'il tendît la main à la foule
incapable de se diriger elle-même, comme il fait pour les
mineurs (...), aujourd'hui toutes les classes ont en matière
de commerce, d'industrie, de finances, assez de lumières
et d'expérience pour être considérées comme majeures
et traitées comme telles » (78). Désormais le temps est
donc à la confiance envers le monde du commerce, les
personnes privées de façon générale : « La législation doit
s'en remettre à la prévoyance et à l'activité de l'intérêt
individuel » (79), dit le rapporteur de la loi. « Cette intervention personnelle donnera plus de sécurité que n'en
pouvait procurer la surveillance de l'administration » (80).
Ainsi, parvenu à sa majorité, le monde commerçant peut
désormais devenir libre. Il faut maintenant écouter « l'avis
et l'intérêt » du commerce, contrairement à ce qui a été
fait sur ce point en 1807 (81).
Réalisme, ouverture, l'exemple de l'Angleterre ayant été
décisif... C'est encore le même esprit d'ouverture, dans
un contexte de concurrence international accrue, qui explique les réformes dans le domaine de l'arbitrage, voie
privilégiée de règlement des litiges entre marchands, particulièrement en matière internationale.

B. Le temps de l'ouverture : l'exemple de l'arbitrage
L'arbitrage était depuis fort longtemps un mode de règlement des litiges qui avait la faveur des marchands, à tel

(73) À propos de cette loi, v. A. Lefebvre-Teillard, La société anonyme au XIXe siècle,
op. cit., p. 419-448.
(74) J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, t. 67, p. 283.
(75) V. G. Antonetti, Histoire contemporaine, politique et sociale, op. cit., p. 283,
n° 239.
(76) V. L. 22 juill. 1867 et M.-H. Renaut, « La contrainte par corps, une voie
d'exécution civile à coloris pénal » : RSC 2002, p. 791.
(77) Sur l'évolution générale des relations entre le législateur et le monde commerçant, v. A. Sayag et J. Hilaire (dir.), Quel droit des affaires pour demain ? Essai
de prospective juridique, Librairies techniques, 1984, p. 229 et s. ; J. Hilaire,
Introduction historique au droit commercial, op. cit., p. 111 et s., nos 57 et s.
(78) J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, t. 67, p. 285.
(79) Ibid.
(80) Ibid., p. 286.
(81) Ibid., p. 287.

point que le roi, à l'initiative de son chancelier Michel de
L'Hospital, l'avait rendu obligatoire « entre marchands
pour faits de marchandises » en 1560 (82). Ce qui intéressait alors surtout le pouvoir, c'était que les commerçants
en relations d'affaires puissent conserver de bonnes relations malgré la naissance d'un litige, ce que l'arbitrage,
pensait-on, permettait davantage que le recours au juge
étatique. Il faut aussi comprendre que l'avantage qu'y voit
le chancelier est celui d'une justice entre soi, rendue par
des marchands pour d'autres marchands. D'ailleurs, dans
le même esprit, Michel de L'Hospital crée en 1563 la juridiction consulaire de Paris, dont l'existence même remet
en cause l'arbitrage forcé décidé trois ans plus tôt, puisque
les marchands relèvent désormais de cette juridiction (83).
Mais le monde marchand continue de demeurer très favorable à l'arbitrage volontaire, auquel les marchands ont
fréquemment recours (84).
Cette matière aussi va subir l'épreuve de la « nationalisation », lorsque le droit de l'arbitrage hérité du droit
romain, aménagé par la pratique (85), entre dans le Code de
procédure civile. Le droit, la justice viennent alors d'être
réformés par Napoléon, ils sont considérés comme les
meilleurs possibles : le temps n'est plus favorable aux
modes extrajudiciaires de règlement des différends. Voilà
pourquoi ce code entend soumettre l'arbitrage à la justice étatique, au sens où l'arbitrage doit lui emprunter ses
traits pour encore justifier son existence. Ainsi les arbitres
respectent-ils la procédure judiciaire (86), jugent-ils en
droit (87), ainsi les voies de recours contre la sentence sontelles multipliées (88)... D'ailleurs, par ce moyen des voies
de recours, ce sont les juges après le législateur qui vont
à leur tour condamner l'arbitrage, notamment à partir de
1843 lorsque la Cour de cassation interdit la clause compromissoire en matière civile, pour une raison de texte
mais en réalité parce que cette clause devenait trop fréquente dans les contrats d'adhésion, notamment dans les
polices d'assurances, et permettait ainsi trop facilement
de se soustraire à la compétence du juge étatique (89).

(82) Édit de Fontainebleau d'août 1560 sur les différends entre marchands, les partages et les comptes de tutelle, v. F. A. Isambert, Recueil général des anciennes lois
françaises, op. cit., t. XIV, p. 51.
(83) Laquelle a d'ailleurs pour usage de renvoyer à des arbitres-rapporteurs, qui ne
sont toutefois pas véritablement des arbitres puisqu'ils ne rendent qu'un avis,
mais celui-ci fait souvent la décision : v. J.-L. Lafon, « L'arbitre près la juridiction consulaire de Paris au XVIIIe siècle » : Revue historique de droit français
et étranger, 1973, p. 217-270.
(84) V. J. Hilaire, « L'arbitrage dans la période moderne, XVIe-XVIIIe siècles » : Rev.
arb. 2000, p. 187-226.
(85) Voir la thèse de l'auteur, L'arbitrage en matière civile du XVIIe au XIXe siècle.
L'exemple de Montpellier, Thèse Droit Montpellier, 2004.
(86) CPC, art. 1009 : « Les parties et les arbitres suivront, dans la procédure, les
délais et les formes établis pour les tribunaux, si les parties n'en sont autrement
convenues. »
(87) CPC, art. 1019 : « Les arbitres et tiers arbitres décideront d'après les règles du
droit, à moins que le compromis ne leur donne pouvoir de prononcer comme
amiables compositeurs. »
(88) V. C. Jallamion et T. Clay, « Arbitrage et justice étatique, hier et aujourd'hui »,
in L. Cadiet, S. Dauchy et J.-L. Halpérin (dir.), Itinéraires d'Histoire de la procédure civile, IRJS, coll. Bibliothèque de l'Institut de recherche juridique de la
Sorbonne - André Tunct, 2014, t. I, p. 214 et s.
(89) Tel est l'objet de l'arrêt Prunier rendu par la Cour de cassation le 10 juillet
1843, qui déclare la clause compromissoire nulle en matière civile comme
ne respectant pas l'article 1006 du Code de procédure civile, édicté pour le
compromis : Cass. civ., 10 juill. 1843, Cie d'assurance l'Alliance c/ Prunier :
D. 1843, I, p. 343 ; Journ. Palais 1843, II, p. 235.

G A Z E T T E D U PA L A I S - É D I T I O N S P É C I A L I S É E - m e r c r e d i 2 6 a u d i m a n c h e 3 0 a o û t 2 0 1 5 - n oS 2 3 8 à 2 4 2

19



Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015

Table des matières de la publication Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015

Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 1
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 2
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 3
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 4
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 5
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 6
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 7
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 8
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 9
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 10
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 11
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 12
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 13
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 14
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 15
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 16
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 17
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 18
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 19
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 20
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 21
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 22
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 23
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 24
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 25
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 26
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 27
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 28
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 29
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 30
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 31
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 32
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 33
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 34
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 35
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 36
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 37
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 38
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 39
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 40
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 41
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 42
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 43
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 44
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 45
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 46
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 47
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 48
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 49
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 50
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 51
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 52
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 53
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 54
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 55
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 56
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 57
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 58
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 59
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 60
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 61
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 62
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 63
Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 64
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2024-06-25
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2023-06-27-hors_serie_3
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2022-06-28-hors_serie_02
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2021-09-15-hors_serie_2
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2020-10-04-N34
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2019-06-19-hors_serie_3
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2018-05-18-hors_serie
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL-2018-04-24-hors_serie1
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazette242-2015
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazette_90-2015
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/CS_271-2015
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-09-13-256
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-09-11-254
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-09-09-252
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GP-240-2014-Droit-et-commerce
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazette_186
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPL_2014-04-01-091_CDF-web
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/CahiersSociaux-no251
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GPS89_Etats-generaux-du-droit-de-la-famille
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GazetteDuPalais_EtatsGenerauxDuDommageCorporel
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/gazette84
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/GazetteduPalais_DroitetCommerce_2011
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazette_du_palais_etats_generaux_du_droit_de_la_famille
https://www.nxtbook.com/lextenso-editions/Gazette/Gazettedupalais_Droitetcommerce
https://www.nxtbookmedia.com