Revue - Gazette du Palais édition spécialisée n° 242-2015 - 56

A cte s de C ol l o q ue

regrettable (4). Elle est passée dans les mœurs aujourd'hui,
au point que l'extension considérable de cette disposition
en 2005 est passée totalement inaperçue.
Le principe étant acquis, le législateur contemporain se
préoccupe, désormais, d'accélérer ce processus de libération. Ce fut la liquidation judiciaire simplifiée en 2005, puis
les divers assouplissements des conditions de procédure
(en 2005) et de fond (en 2014) de la clôture pour insuffisance d'actif. Enfin, l'ordonnance de 2014 a été encore
plus loin avec le rétablissement professionnel : il ne s'agit
plus d'un rebond assuré par une liquidation judiciaire
rapide ; il s'agit désormais d'un rebond sans liquidation,
parce qu'on ne peut pas tondre un œuf.

La purge du passif par la clôture
est l'acclimatation en droit français
de la discharge du droit américain

Or cette évolution majeure est largement inspirée du droit
américain et de la mentalité américaine. La purge du passif par la clôture est l'acclimatation en droit français de la
discharge du droit américain. Elle repose sur une conception de l'entrepreneur étrangère à nos traditions mais
désormais bien ancrée dans l'esprit de notre jeunesse.

B. L'anticipation du sauvetage
Il est admis depuis longtemps que certaines entreprises
ne sont pas vouées à la liquidation mais que les chances
de sauvetage sont d'autant plus grandes que le traitement
des difficultés intervient tôt. Or la négociation d'un débiteur en difficulté, encore in bonis, avec ses créanciers est
difficile et périlleuse. Difficile parce que c'est l'aveu d'un
échec et celui qui a échoué est mal placé pour négocier.
Périlleuse parce que la menace de la période suspecte
plane sur tout accord conclu à ce stade. C'est la pratique
judiciaire qui a trouvé et développé le mécanisme permettant de résoudre cette contradiction. Les mandataires
ad hoc désignés par les présidents des tribunaux de commerce ont fait la preuve de leur efficacité : mieux placés
que le débiteur pour négocier, ce sont des professionnels
aptes à anticiper les dangers de la situation.
Or la loi n'a fait qu'emboîter le pas des tribunaux de commerce. Ce fut le règlement amiable, en 1984, sécurisé
sous la forme de la conciliation en 2005. Puis la sauvegarde, procédure collective accessible volontairement à
un débiteur n'ayant pas atteint le stade de la cessation
des paiements.
La pratique avait montré la voie. C'est encore la pratique qui a guidé les perfectionnements ultérieurs de
ces nouveaux mécanismes légaux. Et plus précisément
une pratique anglo-saxonne : celle du prepack, consistant à aborder la procédure collective avec un projet de
plan préparé en amont, durant une phase de négociation
qui n'a pu déboucher sur un accord contractuel à défaut

d'unanimité des créanciers. La place de Paris a connu des
expériences de ce type dans des dossiers emblématiques
à l'occasion des premières sauvegardes. Or le législateur
s'est approprié cette idée de « passerelle » entre procédure amiable et procédure collective. Il l'a même déclinée,
avec l'ardeur du néophyte, puisque les textes en réglementent aujourd'hui trois variétés : le prepack sauvegarde
sous sa forme ordinaire (la sauvegarde accélérée) et sous
une forme spécifique (la sauvegarde financière accélérée), d'une part, le prepack cession (C. com., art. L. 611-7),
d'autre part.

C. Le retour de la loi de la majorité
C'est encore l'influence américaine qui semble être à
l'origine de l'introduction des comités de créanciers en
droit français par la loi de 2005. À vrai dire, on pourrait
contester cette apparence en faisant valoir que la loi de
la majorité correspond aussi à une tradition française
puisqu'elle gouvernait les assemblées concordataires
avant que cette tradition ne soit étouffée en 1985.
Peu importe. Cette innovation est la plus révélatrice de
l'influence que peuvent avoir les expériences étrangères
et les enseignements de la pratique sur notre droit actuel.
On le voit quand on observe les multiples retouches que
le législateur a jugé utile d'apporter à cette innovation
depuis 2005. Ont ainsi été modifiés, à l'occasion de divers
textes intervenus en 2008, 2010, 2012, 2013 et 2014 : le calendrier de fonctionnement des comités, leur composition,
les règles de majorité, la situation de créanciers particuliers (ceux dont les modalités de paiement ne sont pas
affectées, ceux dont le vote est soumis à une convention,
les créanciers subordonnés). Or chacun sait que ces différentes interventions législatives ont, toutes, été inspirées
par des difficultés pratiques rencontrées dans différents
dossiers emblématiques tels que Eurotunnel et Thomson.
Il n'est pas certain qu'on doive se féliciter de cette nouvelle manière de légiférer au cas par cas, si éloignée des
principes de Portalis. Quoi qu'il en soit, elle confirme
bien l'ouverture de notre droit des entreprises en difficulté aux suggestions de la pratique comme aux solutions
étrangères.

II. RÉALISME
Pour être ouvert, et notamment aux enseignements de la
pratique, notre droit est-il, pour autant, réaliste c'est-àdire adapté aux besoins de celle-ci ?
La réponse à cette deuxième question ne peut être que
nuancée. Il est clair qu'à certains égards les règles régissant les entreprises en difficulté s'accommodent d'une
application pragmatique (ce qui n'est, d'ailleurs, pas sans
danger). Néanmoins, elles recèlent aussi des insuffisances et des subtilités qui font parfois de cette matière
un droit déconnecté des réalités.

A. Des règles propices à une application
pragmatique
Un seul exemple, mais il touche à l'essentiel : le choix de
l'éventuelle solution de sauvetage par les tribunaux.

(4) R. Roblot, Traité de droit commercial, LGDJ, 1996, t. 2, 16e éd. par P. Delebecque et M. Germain, n° 3275 ; F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, Dalloz, 1991, 3e éd., n° 567 ; v. les
discussions sur cette question au colloque de Deauville : RJ com. 1987, n° spéc.,
p. 154 et 171.

Observons, d'abord, que le juge est totalement libre d'arbitrer entre un plan de redressement (avec l'exploitant en
place) ou un plan de cession (au profit d'un repreneur des
actifs). Certes, la Cour de cassation affirme une priorité

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