Les Carrés Rouge - L'essentiel des grandes décisions du Conseil constitutionnel 2017-2018 - 1re - 142

L'ESSENTIEL

140

DES

GRANDES

DÉCISIONS DU

CONSEIL

CONSTITUTIONNEL

Parlement est prévenu des limites constitutionnelles à ne pas dépasser lors d'une prochaine réforme. Le Conseil constitutionnel valide ainsi l'état actuel de la législation sur les assignations à résidence en période d'état d'urgence, tout en
prédéterminant le contenu de l'initiative législative future. Ainsi, l'assignation à résidence accompagnée d'une astreinte
à demeure n'est pas qualifiée de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, en raison
de la limite de douze heures par vingt-quatre heures instaurée par la loi. Ce choix interprétatif n'allait pas de soi et
confirme la lecture restrictive par le Conseil constitutionnel de la compétence du juge judiciaire à propos de la protection de la liberté individuelle. S'adressant au futur législateur tenté de durcir le régime applicable, le Conseil constitutionnel précise que la plage horaire maximale de douze heures par jour « ne saurait être allongée sans que l'assignation à résidence soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, dès lors soumise aux exigences de
l'article 66 de la Constitution » (cons. 6). Par un autre obiter dictum, le Conseil constitutionnel encadre les modalités
de prorogation de l'état d'urgence par une nouvelle loi : la durée de prorogation ne doit pas être excessive et « les
mesures d'assignation à résidence prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées » (cons. 13).
D'autre part, le Conseil constitutionnel adresse un vœu constitutionnel au juge administratif sans formuler une authentique réserve d'interprétation. La mesure d'assignation à résidence, sa durée, ses conditions d'application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie « doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé
la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence » et le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est « adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit »
(cons. 12). Le commentaire officiel de la décision revendique un rehaussement du niveau de contrôle du juge administratif en sollicitant l'application du triple test de proportionnalité que le Conseil constitutionnel réserve à certains droits
et libertés constitutionnels, comme la liberté individuelle en l'espèce ou la liberté d'expression et de communication.
Cependant, la directive adressée par le Conseil constitutionnel ne bénéficie que d'une simple autorité persuasive,
faute d'avoir été reprise sous la forme d'une réserve d'interprétation dans les motifs et le dispositif. Conformément à
l'interprétation classique de l'article 62 de la Constitution par le Conseil d'État, la formule du considérant 12 de la décision du 22 décembre 2015 ne bénéficiera donc pas de l'autorité de chose jugée, bien qu'en pratique le juge administratif ait suivi la préconisation du Conseil constitutionnel.
Non seulement la portée et l'autorité des garanties dont le Conseil se prévaut pour valider le dispositif actuel des assignations à résidence sont incertaines mais encore elles ne valent que pour l'avenir, elles ne sont que des signes
envoyés au législateur lorsqu'il aura à reprendre la rédaction de la loi sur l'état d'urgence. Si le Conseil avait voulu
manifester sa détermination à être le gardien des droits et libertés constitutionnels, il aurait dû au pire faire savoir au
législateur que sa prochaine loi devrait soumettre au contrôle du juge judiciaire les mesures prises en application de
l'état d'urgence, au mieux censurer le dispositif de l'article 6 de la loi contestée pour ne pas l'avoir fait.

Pour aller plus loin
* CE, avis contentieux, 6 juillet 2016, nº 398234 et nº 399135 : le Conseil d'État précise les modalités de mise en
œuvre de l'état d'urgence à propos de la motivation des décisions ordonnant une perquisition, du recours en responsabilité contre l'État suite à une perquisition, ou de l'exercice d'un triple test de proportionnalité lors du contrôle de ces
mesures.
* Cons. const., 23 septembre 2016, nº 2016-567/568 QPC, M. Georges F : le régime ancien des perquisitions administratives dans le cadre de l'état d'urgence, appliqué entre le 14 et le 20 novembre 2015, est censuré en raison d'un
encadrement insuffisant des atteintes à la vie privée, mais l'abrogation immédiate n'a pas remis en cause les actes antérieurement pris sur le fondement du texte.
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