Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts de droit pénal et de procédure pénale 2017-2018 - 2e - 146

L'ESSENTIEL

144

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

PÉNAL ET DE LA

PROCÉDURE

PÉNALE

12 Cass. ass. plén., 19 oct. 1984 (expertise - notion)
La Chambre d'accusation, qui énonce que les interprètes-traducteurs ne sauraient être considérés comme des experts alors
que le juge d'instruction leur avait posé une question d'ordre technique, viole les articles 156 et suivants du Code de
procédure pénale.

■ Faits
Dans une information suivie contre R. D. du chef d'intelligences avec des agents d'une puissance étrangère, le juge
d'instruction a, par ordonnance, confié à deux personnes la mission de traduire en français des documents rédigés en
allemand en précisant « en cas de difficulté (original manuscrit illisible, photographie défectueuse), les experts mentionneront l'impossibilité de procéder à une traduction littérale et, lorsque ce sera possible, donneront le sens général du
texte correspondant, en formulant au besoin leurs réserves ». L'inculpé ainsi que le Procureur général saisissent la
Chambre d'accusation en lui demandant d'annuler ladite ordonnance aux motifs que le juge aurait dû respecter les
formalités prescrites pour la désignation des experts. L'arrêt de la Chambre d'accusation refusant de faire droit à cette
requête est cassé. Selon l'Assemblée plénière, la question d'ordre technique posée conférait à la mission confiée le
caractère d'une expertise.

■ Portée
L'expertise est communément présentée comme une mesure d'instruction par laquelle un technicien est sollicité pour
apporter des éclaircissements sur une question de fait qui requière les compétences d'un professionnel. Le Code de
procédure pénale, quant à lui, n'en donne aucune définition. Tout au plus, il énonce, article 156, al. 1er, qu'il est
recouru à l'expertise « dans le cas où se pose une question d'ordre technique ». Or, comme le soulignent nombre
d'auteurs, la référence à l'idée de technicité est insuffisante, toute opération effectuée par un homme de l'art ne
constituant pas en soi une expertise. D'ailleurs le code lui-même le reconnaît en opposant les expertises effectuées
sous le contrôle des autorités judiciaires aux « examens techniques et scientifiques » réalisés soit sur réquisitions de
l'officier de police judiciaire en cas d'enquête de flagrance (CPP, art. 60), soit sur réquisitions du procureur de la République ou, avec l'autorisation de ce dernier, sur celles de l'officier de police judiciaire, en cas d'enquête préliminaire
(CPP, art. 77-1). Si les premières sont le propre des experts, les seconds sont confiés à des « personnes qualifiées ».
Sans doute, ainsi qu'on l'a écrit, la distinction pourrait être balayée en soulignant que ces examens sont à l'officier de
police judiciaire ce que l'expertise est au juge d'instruction. Pourtant, quelle que soit leur parenté, la jurisprudence
rappelle que les dispositions relatives à l'expertise ne s'appliquent pas aux examens techniques et scientifiques effectués
pendant l'enquête. La distinction est donc d'importance.
Selon la doctrine, deux critères caractérisent l'expertise : le premier paramètre tient à l'autorité requérant l'investigation.
L'expertise, au sens du Code de procédure pénale, suppose que la question à résoudre ait été posée par un juge. Le
second repose sur les termes de la mission confiée. Ainsi, l'expertise « appelle non une simple constatation, mais une
réponse reposant sur une interprétation », autrement dit « elle implique un choix, un avis », l'expert devant exprimer
« son opinion sur un point controversé ou discutable ».
En l'espèce, il appartenait aux interprètes-traducteurs non pas seulement de faire une « simple » traduction mais d'imaginer le sens général du texte tout en indiquant les difficultés rencontrées face au document défectueux et leurs éventuelles réserves d'interprétation. Dès lors la mission confiée devait être qualifiée d'expertise ; qualification qui commandait le respect des articles 156 et suivants du Code de procédure pénale. L'une des premières dispositions tient aux

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