Les Carrés Rouges - L'essentiel des Grands arrêts de droit pénal et de procédure pénale 2017-2018 - 2e - 88

L'ESSENTIEL

DES

GRANDS

ARRÊTS DU

DROIT

PÉNAL ET DE LA

PROCÉDURE

PÉNALE

Cass. crim., 21 nov. 1961, Devaud (légitime défense,
caractère proportionné de la défense)

Attendu que pour écarter la légitime défense alléguée par Devaud, l'arrêt attaqué énonce « que les antagonistes, qui se
connaissaient bien, se trouvaient dans le café entourés de personnes connues, habitant le même village, qui pouvaient
intervenir pour les calmer et les séparer ; que bien que le jeune Duthier ait saisi violemment le cou de Devaud, il n'était
pas nécessaire pour lui de répliquer par un violent coup de bouteille ; que cette bouteille cassée avec violence équivalait à
une arme dangereuse ; que cette défense n'était pas nécessaire » ;
Attendu que dans les circonstances souverainement constatées par l'arrêt, la cour a pu estimer, tout en retenant l'excuse
de provocation, la défense de Devaud en disproportion avec l'agression dont il était l'objet, et ne point reconnaître et
admettre le péril actuel commandant la nécessité de la blessure faite ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Par ces motifs, REJETTE.

■ Faits
Dans un café, une dispute opposait deux individus : l'un saisi violemment au cou par l'autre se dégagea en assénant à
son agresseur un violent coup de bouteille qui provoqua une grave blessure. L'agressé devenu agresseur fut poursuivi
pour coups et blessures volontaires. Pour tenter de justifier son acte, il prétendait avoir agi en état de légitime
défense. La Cour d'appel de Limoges écarta l'argumentation en s'appuyant sur les circonstances de l'espèce.
Condamné à une peine d'amende et à verser des dommages-intérêts à la partie civile pour coups et blessures volontaires, le sieur Devaud contesta cette décision invoquant une nouvelle fois la justification de son acte sur le fondement
de la légitime défense. Son pourvoi fut rejeté par la Chambre criminelle.

■ Portée
L'arrêt de rejet mérite une grande attention à plus d'un titre. On relève d'emblée que l'appréciation du caractère
proportionné de la défense est laissée à l'initiative des juges du fond. Pour la Chambre criminelle, il s'agit donc d'une
question de fait : « Attendu que dans les circonstances souverainement constatées... ». Toutefois, il ne faut pas se
méprendre sur la portée de cette précision. La référence à la libre appréciation des juges du fond rencontre une limite
importante. Elle est entourée d'une condition substantielle. La Cour de cassation attend en effet des juges du fond
qu'ils la mettent en mesure de vérifier l'existence de cette exigence. L'étudiant qui ne comprend pas à sa juste mesure
cette dernière précision ne peut pas expliquer logiquement le contrôle opéré en ce domaine par la Chambre criminelle.
On rappellera au surplus qu'à la date de l'arrêt rapporté ici, l'exigence de proportionnalité était inconnue du Code
pénal. C'est donc en marge de celui-ci que la règle a été dégagée avant d'être consacrée quelques années plus tard
par le nouveau code. La consécration législative n'a pas pour autant écarté toutes les difficultés. Dans toutes les situations, y compris dans celles liées aux cas privilégiés de légitime défense (C. pén., art. 122-6), la défense du prévenu doit
nécessairement répondre aux exigences de proportionnalité. Il y a en ce domaine, on le pressent bien, des difficultés
d'interprétation en perspective. Ainsi, peut bénéficier de la légitime défense, un commerçant qui, surprenant de nuit
un cambrioleur, le stoppe, au moment de la fuite de celui-ci sur le balcon, en lui tirant une décharge de fusil dans la
jambe. De même, est proportionné le coup de feu (mortel) tiré par le prévenu pour repousser, de nuit, un agresseur,
présentant une attitude menaçante, qui tentait de pénétrer dans son domicile après avoir brisé une fenêtre. En
revanche, apparaissent manifestement disproportionnés, les coups de feu tirés par le père d'une jeune fille en direction
d'un jeune homme, escaladant de nuit la maison pour atteindre la chambre de la jeune fille en question. Et que dire
de l'attitude de cet exploitant agricole quelque peu justicier qui, ayant surpris dans un bois clôturé jouxtant sa

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