Les Carrés Rouge - L'essentiel des Grands arrêts du droit du travail 2017-2018 - 2e - 49

CHAPITRE 5 - Pouvoirs de l'employeur
Mais séparer la personne du salarié de la prestation de travail n'est pas un exercice facile. L'intérêt de l'entreprise peut
justifier des limites. L'article L. 1121-1 admet des restrictions « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et
« proportionnées au but recherché » ; de même, des restrictions apparemment discriminatoires sont admises si « elles
répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée » (C. trav., art. L. 1133-1). La question est alors de savoir si l'employeur, qui peut imposer le port
d'un uniforme aux salariés en contact avec la clientèle, est en droit d'interdire le port d'un signe religieux pour des
motifs autres que ceux relevant de la protection de la santé et de la sécurité ?
L'assemblée plénière affirme, en application des seuls articles L. 1121-1 et L. 1321-3, que les restrictions à la liberté de
manifester ses convictions religieuses garantie par l'article 9 de la CEDH doivent être justifiées par la nature de la tâche
à accomplir et proportionnées au but recherché. Sa solution se distingue doublement de celle de la chambre sociale :
- elle ne mobilise pas le principe de non-discrimination (plus protecteur) comme semble l'imposer la Directive 2000/78/
CE, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière
d'emploi et de travail ;
- elle reprend la motivation selon laquelle la restriction ne présentait pas un caractère général mais était suffisamment
précise, justifiée par la nature des tâches des salariés « en relation directe avec les enfants et les parents » (afin de
protéger la liberté de conscience des premiers et d'éducation des seconds) et proportionnée du fait « des conditions
de fonctionnement de l'association [...] de dimension réduite ».
- A contrario, est confirmée la solution selon laquelle le principe de laïcité, au sens de l'article 1er de la Constitution,
n'est pas applicable aux employeurs de droit privé ne gérant pas un service public.
L'assemblée plénière juge, en outre, que l'association ne peut être qualifiée d'entreprise de conviction (qui peuvent
restreindre davantage l'exercice des droits et libertés des salariés) dès lors que son objet statutaire est non la promotion
ou la défense de convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais le développement d'une action orientée
vers la petite enfance et l'insertion sociale des femmes, sans distinction d'opinion. La neutralité prescrite par une
personne privée n'est donc pas une tendance, mais une absence de tendance. Est ainsi mis hors de cause l'article 4,
§ 2, de la directive 2000/78 qui subordonne à l'adoption d'une législation nationale - inexistante en France - le droit
pour les États membres d'admettre, au sein des entreprises de tendance, certaines discriminations justifiées par l'existence d'une obligation de loyauté accrue des salariés.
La loi du 8 août 2016 tente d'apaiser les craintes avec un nouvel article L. 1321-2-1 : « Le règlement intérieur peut
contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés
si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon
fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Mais c'est surtout la position de la
CJUE qui était attendue après celle de la CEDH (Ewaïda, du 15 janvier 2013). Dans deux arrêts de principe du 14 mars
2017, les magistrats ont décidé :
- d'abord, qu'une règle interne d'une entreprise interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux ne constitue pas une discrimination directe mais peut s'analyser en une discrimination indirecte devant être justifiée par un objectif légitime (comme le souhait d'afficher une image de neutralité vis-à-vis de ses clients, qui se
rapporte à la liberté d'entreprise) dès lors que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (l'interdiction, appliquée de manière cohérente et systématique, ne doit viser que les salariés en relation « visuelle » avec les
clients et le licenciement n'est possible que s'il n'était pas possible de proposer au salarié un poste de travail) ;
- ensuite, en l'absence de règle interne, la volonté d'un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus
voir ses services assurés par une salariée portant un foulard ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle écartant l'existence d'une discrimination directe.

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