Les Carrés Rouge - L'essentiel de la philosophie du droit - 2e - 101

CHAPITRE 8 - Une démarche commune : la construction d'une théorie du droit
La voie très courante qu'emprunte alors celui-ci pour s'arracher à cette misère épistémologique et
creuser la distance avec des énoncés normatifs dont la seule exégèse lui semble à juste titre stérile
est celle qui consiste à en livrer des interprétations. Pour dépasser l'horizon dénué de saveur scientifique de l'exégèse descriptive, le juriste peut en effet adopter une position symétriquement
inverse en prescrivant ce qui devrait être retenu, en termes de signification, de tel ou tel autre
énoncé normatif au point de se projeter hors des limites de la neutralité axiologique de la science
du droit. C'est qu'une interprétation implique une évaluation, c'est-à-dire une prescription, un
choix qui échappe, par définition, à toute objectivité. Telle est la voie - non scientifique - qu'emprunte la dogmatique. Celle-ci désigne un vaste ensemble d'opérations herméneutiques
auxquelles se livre l'avocat, le professeur de droit qui réalise une consultation ou encore un
membre de la doctrine juridique qui émet une interprétation purement subjective lorsqu'il est en
présence d'un énoncé législatif (ou constitutionnel) n'ayant pas encore fait l'objet d'une interprétation, dite authentique, du juge.
On sait que les théories volontaristes de l'interprétation enseignent qu'en amont de l'intervention
du juge, tant que celui-ci n'a pas dégagé de la disposition en cause l'interprétation dite authentique, nul ne connaît la norme en vigueur. Le débat doctrinal porte alors sur une potentialité de
plusieurs normes applicables (Sur cette distinction terminologique entre doctrine juridique
et science juridique, v. Troper M., « Science du droit et dogmatique juridique » in La théorie du
droit, le droit, l'État, 2001, Paris, PUF, Léviathan, p. 12). Si la science du droit, au sens que lui
prête Kelsen, consiste à établir le recensement exhaustif de ces différentes normes potentielles en
énonçant une série de sollen descriptifs constitutifs de ce qu'il appelle l'interprétation scientifique
(Kelsen H., Théorie pure du droit, op. cit., p. 335 et s.), elle s'efface pour céder la place à la
dogmatique quand le juriste effectue un choix en justifiant, parmi toutes ces solutions possibles,
celle qui lui paraît la plus opportune. Il adopte alors une posture doctrinale dont le caractère
dogmatique réside en ceci que son auteur prétend énoncer sa vérité. Sa posture, dénuée de
relativisme, ne relève pas de la science du droit.
La solution épistémologique idéale réside alors dans la posture théorique qui consiste à construire,
par-delà le discours empirique du droit positif, des modèles abstraits pour mieux connaître la
réalité du droit. Mais ces modèles doivent demeurer étrangers à toute entreprise dogmatique : il
s'agit de dévoiler l'Idée qui sous-tend l'apparence des phénomènes juridiques et non de prétendre
révéler la signification d'un énoncé juridique ni de forger des idéaux à l'aune desquels le juriste
serait tenté de juger le droit positif. L'idéalisme de la démarche théorique ne revêt pas une dimension normative qu'on rencontre dans les philosophies substantialistes ou dans la doctrine. C'est
une méthode critique et constructiviste de la connaissance qui implique une philosophie relativiste
du droit.

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