Mémentos - Droit pénal des affaires - 3e - 153

CHAPITRE 17 - L'abus de biens sociaux
153
Cour de cassation le rappelle régulièrement16
. Ce critère de l'intérêt personnel est capital
car il permet de tracer la frontière entre une faute de gestion et l'appropriation frauduleuse
pénalement sanctionnée du patrimoine de la société.
Ce dol spécial est cependant généralement compris de manière extensive par la
jurisprudence :
- d'une part, la chambre criminelle facilite la démonstration de l'usage contraire à
l'intérêt social en présumant l'intérêt personnel ; la Cour de cassation estime ainsi
que « s'il n'est pas justifié qu'ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société,
les biens sociaux, cédés de manière occulte par un dirigeant social, l'ont nécessairement
été dans son intérêt personnel »17
. Ainsi, « en l'absence de justification de leur
caractère social, les dépenses de réception et de cadeaux d'affaire engagées par un
gérant, au moyen de fonds sociaux, l'ont nécessairement été dans son intérêt
personnel »18
. Une telle interprétation présomptive étend très largement le champ
de l'abus de biens sociaux ;
- d'autre part, la jurisprudence considère que l'intérêt peut être non seulement
matériel (retirer un bénéfice concret de l'abus), mais également moral ; dès lors, la
simple recherche de notoriété ou un intérêt électoral suffisent à caractériser l'élément
moral, même si le dirigeant n'a pas bénéficié matériellement ou financièrement
de l'abus. Ainsi, le fait de se ménager des appuis, des relations, ou le fait de
verser des salaires correspondant à un emploi fictif à un conseiller du président de la
République pour entretenir de bonnes relations avec le pouvoir caractérise l'intérêt
personnel constitutif de l'abus de biens sociaux19
.
Point de jurisprudence
Vers le retour de la démonstration de l'intérêt personnel ?
Quelques décisions - inédites au Bulletin, toutefois - semblent revenir ces dernières années
vers l'obligation d'une démonstration de l'intérêt personnel pour que l'abus de biens sociaux
puisse être retenu à l'encontre du dirigeant. L'interprétation présomptive semble aujourd'hui
marquer le pas.
Cass. crim., 20 nov. 2019, nº 18-82277, inédit : dans cette affaire, le prévenu était poursuivi
en raison de multiples factures ne correspondant à aucune prestation réelle en l'absence de
tout justificatif. Selon la Cour de cassation, une cour d'appel ne peut condamner le dirigeant
pour abus de bien sociaux sans démontrer qu'il a pris un intérêt direct ou indirect dans le règlement
de factures fictives, ou bien qu'il a favorisé une autre société ou entreprise dans laquelle il
était intéressé directement ou indirectement.
Cass. crim., 7 sept. 2022, nº 21-83823, inédit : un prévenu avait été condamné pour abus de
biens sociaux par les juges du fond au motif que les dépenses litigieuses rémunéraient des prestations
fictives et que leur règlement l'avait nécessairement été dans son intérêt personnel.
Dans son pourvoi, le prévenu fit valoir qu'en s'abstenant de mieux s'expliquer sur l'existence
de cet intérêt personnel aux dépenses litigieuses, la cour d'appel avait privé sa décision de
base légale. La Cour de cassation fit droit au moyen : « le caractère fictif des factures acquittées
ne saurait à lui seul suffire à présumer que le dirigeant avait soit pris un intérêt direct ou indirect
dans le règlement des factures fictives, soit favorisé une autre société ou entreprise dans
laquelle il était intéressé directement ou indirectement [casse et annule] ».
--
16. Cass. crim., 17 juin 2015, nº 14-81914, inédit ; Cass. crim., 22 mars 2017, nº 15-84536, inédit.
17. Cass. crim., 24 sept. 2008, nº 08-80872 : Bull. crim., nº 186.
18. Cass. crim., 30 janv. 2019, nº 17-85304, publié au Bulletin.
19. Cass. crim., 14 nov. 2007, nº 06-87378 : Bull. crim., nº 282.

Mémentos - Droit pénal des affaires - 3e

Table des matières de la publication Mémentos - Droit pénal des affaires - 3e