En poche - Libertés et droits fondamentaux - 6e - 45

LE JUGE JUDICIAIRE, JUGE PAR EXCEPTION DE
L'ADMINISTRATION
Deux théories jurisprudentielles octroyaient compétence au juge judiciaire
lorsque l'administration portait gravement atteinte à la liberté individuelle et/
ou au droit de propriété. Elles étaient fondées sur l'idée que l'administration
méconnaissant de manière aussi importante des libertés fondamentales devait
perdre son privilège de juridiction afin de garantir à la victime un recours
au juge efficace. Cela traduisait une suspicion à l'égard de la juridiction administrative
aujourd'hui largement démentie (v. supra), ce qui explique que la
voie de fait soit en déclin et l'emprise irrégulière abandonnée.
La voie de fait
La théorie jurisprudentielle de la voie de fait (T. confl., 8 avr. 1935,
n° 00822, Action française) conférait traditionnellement une compétence
exceptionnelle au juge judiciaire pour juger de l'action de l'administration
(prononcer l'illégalité et la faire cesser) lorsque celle-ci accomplissait une
irrégularité manifeste (notamment par un acte matériel insusceptible de se
rattacher à ses pouvoirs) portant gravement atteinte au droit de propriété ou à
une liberté fondamentale. Mais, dans un arrêt de 2013, le Tribunal des conflits
a réduit le champ de la voie de fait à la protection de la liberté individuelle
ou du droit de propriété lorsque l'action de l'administration est de nature à
entraîner l'extinction dudit droit (T. confl., 17 juin 2013, Bergoend c/ Société
ERDF Annecy Leman).
La voie de fait a toutefois connu un regain d'intérêt qui fut de courte durée.
Elle a en effet été mobilisée de manière étonnante à l'occasion de l'affaire
Lambert. Les parents de ce patient en coma pauci-relationnel depuis plus de
10 ans cherchaient par tous les moyens à s'opposer juridiquement à la mise
en œuvre d'une décision médicale d'arrêt des traitements de maintien en vie,
lesquels étaient considérés comme relevant de l'obstination déraisonnable.
Après avoir épuisé les voies de recours devant le juge administratif, ils ont
saisi le juge judiciaire au titre de la voie de fait. La Cour d'appel les a suivis
et s'est considérée compétente. Elle a jugé qu'en ne se soumettant pas à la
demande de mesure provisoire faite par le Comité onusien des droits de personnes
handicapées, les autorités françaises commettaient une voie de fait.
Mais la Cour de cassation a au contraire déclaré incompétent le juge judiciaire
(Cass. ass. plén., 28 juin 2019, n° 19-17330 et 19-17342) au motif que le droit à
la vie présentement en jeu ne relève pas de la liberté individuelle.
Le déclin de la voie de fait se double de la disparition de l'emprise irrégulière.
L'emprise irrégulière
L'emprise irrégulière est également une construction jurisprudentielle qui octroie
compétence au juge judiciaire lorsque l'administration prend de manière
irrégulière possession d'une propriété privée immobilière ce qui empêche
le propriétaire de jouir de son bien.
Traditionnellement, l'irrégularité entraînait un partage de compétence juridictionnelle
: le juge administratif restait compétent pour se prononcer sur l'irrégularité
de l'emprise ; le juge judiciaire l'étant pour indemniser le propriétaire
(T. confl., 30 juin 1949, Nogier). Mais désormais, le juge administratif est pleinement
compétent : pour qualifier, faire cesser et réparer l'emprise irrégulière
(T. confl., 9 déc. 2013, M. et Mme Panizzon c/ Commune de Saint-Palais-surMer).
Cette évolution est avantageuse pour le justiciable qui peut saisir un seul
et même juge (juge administratif).
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