Annales corrigées et commentées - Droit administratif - L2 - 8e - 222

La référence à cette jurisprudence
atteste de votre excellente maîtrise
de l'actualité du droit administratif.
La transition entre les deux
sous-parties permet d'apprécier
la cohérence globale du
raisonnement. Il ne faut pas la
négliger.
dont les dispositions sont applicables même dans le cas où la victime, en tant que
manifestant, a, de son propre fait, concouru à la réalisation du dommage dont
elle demande réparation. En l'espèce, la cour administrative d'appel de Toulouse
a jugé que la responsabilité sans faute de l'État pouvait donc bien être engagée
à l'égard du manifestant Rémi Fraisse sur le fondement du régime spécial de responsabilité
du fait des attroupements et rassemblements dès lors que son décès
résultait directement d'une mesure prise par l'autorité publique. La Cour a ainsi
estimé que la responsabilité de l'État était engagée sans qu'y fasse obstacle la circonstance
que la réparation était demandée par un manifestant et non un tiers à
la manifestation. Le même raisonnement a été appliqué par la cour administrative
d'appel de Nantes dans le cas d'un manifestant grièvement blessé lors d'une action
protestataire en 2014 à l'encontre du projet de nouvel aéroport de Notre-Dame
des Landes (CAA de Nantes, 2 juin 2023, M. T.). L'arrêt à commenter présente donc
un apport intéressant en confirmant que la victime ne doit pas nécessairement
avoir la qualité de tiers pour que le régime législatif de responsabilité sans faute de
l'État du fait des attroupements s'applique.
Si, en l'espèce, un fait générateur a bien été identifié par le juge administratif pour
engager la responsabilité de l'État, il vient toutefois la limiter à travers l'indemnisation
accordée.
B/ L'indemnisation atténuée du préjudice moral de la famille
Il s'agit d'une notion centrale de
cette sous-partie. Elle doit donc être
définie et approfondie.
L'utilisation de cette expression
latine montre que vous maîtrisez la
distinction entre le pretium doloris
et le pretium affectionis. C'est un
plus pour votre copie.
Ce point de comparaison entre
la jurisprudence administrative et
judiciaire est élément de réflexion
intéressant valorisé dans la
notation.
Il s'agit d'un arrêt bonus
pour la notation.
Il s'agit d'un revirement important
en droit de la responsabilité
administrative impérativement
attendu par le correcteur.
Au-delà de la caractérisation d'un fait générateur, l'engagement de la responsabilité
de l'administration suppose qu'un préjudice existe. Le juge administratif
exige traditionnellement plusieurs conditions, notamment que ce préjudice soit
évaluable en argent. En effet, comme celui-ci aboutit au versement de dommages
et intérêts, il est essentiel qu'il puisse être « chiffré ». Le Conseil d'État accepte ainsi
d'indemniser, depuis longtemps, des préjudices à la fois matériels et immatériels.
Parmi ces derniers figurent le préjudice esthétique (CE (ass.), 11 juillet 1947, Salgues)
ou encore les atteintes à l'honneur (CE, 8 décembre 1948, Époux Brusteau).
En l'espèce, les requérants ont invoqué un préjudice moral du fait de la mort de
Rémi Fraisse.
Or, pendant très longtemps, la douleur morale a été insusceptible d'évaluation en
argent en vertu de l'adage « les larmes ne se monnaient pas » et le Conseil d'État,
en conséquence, refusait d'indemniser « la partie affective du patrimoine moral »
- en d'autres termes le chagrin - préférant réparer les « troubles de toute nature
apportés dans les conditions d'existence ». Cette exclusion du pretium affectionis
était critiquée en doctrine mais aussi par les juges du fond car le juge judiciaire acceptait,
quant à lui, depuis la fin du XIXe
siècle, de réparer à la fois la douleur morale
liée à la rupture des liens affectifs entraînée par la mort mais également les inquiétudes
et les angoisses causées aux proches parents (Cass. Civil, 22 octobre 1946).
La position du Conseil d'État était tellement contestée que certains tribunaux administratifs
avaient même pris l'initiative d'accorder cette indemnisation (TA de Lille,
28 février 1958, Dame Veuve Cousinard) . Un revirement a mis fin à ces critiques et
dissonances dans l'arrêt d'Assemblée du Conseil d'État du 24 juin 1961 Letisserand
permettant à la souffrance morale de faire partie des préjudices indemnisables en
argent. Désormais, cette dernière est entendue largement puisqu'elle permet de
réparer, au-delà du décès d'un proche, d'autres souffrances morales comme les
troubles de toute nature dans les conditions d'exercice d'une profession (CE (ass.),
22 octobre 2010, Mme Bleitrach) ou encore un harcèlement dans la vie professionnelle
(CAA de Marseille, 13 janvier 2015, Cogolin). Cette vision étendue permet
220

Annales corrigées et commentées - Droit administratif - L2 - 8e

Table des matières de la publication Annales corrigées et commentées - Droit administratif - L2 - 8e