Hors collection - Droit de l'intelligence artificielle - 1re - 115

CHAPITRE 3 - QUESTIONS SECTORIELLES
115
connaître les pratiques de leurs collègues et les parties pourront évaluer plus précisément les chances
de succès d'une procédure.
Dès 2016, des chercheurs de l'université de Londres considéraient que 79% des décisions de la Cour
européenne des droits de l'Homme étaient prévisibles52
.
Le recours à des algorithmes pour traiter les dossiers répétitifs et simples pourrait encourager le règlement
de nombreux litiges en amont du recours au juge, par des modes alternatifs comme la médiation
ou la conciliation. Les juges pourraient ainsi se concentrer sur les dossiers complexes, ce qui conduirait
à une justice plus rapide, sûre et efficace.
Cependant, cette évolution comporte des risques pour l'office du juge et l'accès à la justice. Les juges
pourraient perdre leur liberté d'appréciation et leur indépendance sous l'effet de la surveillance résultant
du traitement massif des décisions de justice. Chaque affaire doit être examinée avec sa part d'originalité
et de complexité, ce que les algorithmes ne peuvent systématiser.
Les algorithmes ne peuvent pas, de leur propre initiative, répondre à des questions. Le juge doit rester
maître de la question posée et de l'interprétation des résultats donnés par les algorithmes. De plus, un
effort de prévisibilité du droit ne doit pas figer la jurisprudence, qui évolue avec les changements législatifs,
économiques et sociaux. Les algorithmes risquent de cristalliser la jurisprudence et de conférer
une force excessive à des solutions majoritaires, mais pas forcément pertinentes. Les résultats des algorithmes
comportent une part d'aléa et ne doivent pas dissuader le recours au juge. L'accès au juge et les
principes du procès équitable doivent rester la règle. Le recours au règlement alternatif des litiges doit
être encouragé sans faire obstacle au procès.
La justice prédictive promet des progrès, mais ces progrès ne peuvent que s'inscrire dans le respect des
principes fondamentaux de la justice. Les juges doivent conserver leur liberté d'appréciation et leur
indépendance. L'IA ne doit pas se substituer à l'analyse juridique et au raisonnement personnel du
juge.
L'utilisation des algorithmes doit être fondée sur les principes de neutralité et de transparence. L'IA
peut reproduire les biais sociaux de leurs concepteurs et influencer le processus décisionnel. La méthodologie
retenue dans le traitement des données doit être explicite et transparente pour permettre la
comparaison et la discussion des résultats. Il est essentiel de maintenir une hiérarchie des décisions de
justice pour que les juges et les avocats puissent se repérer dans les informations.
Selon Xavier Ronsin, conseiller à la Cour de cassation, nous sommes encore loin de la « justice
bouton », sachant qu'il a déjà eu l'occasion d'expérimenter un système de justice prédictive.
Si la justice prédictive se développe, il est crucial de réfléchir aux opportunités et aux risques qu'elle
comporte. Les principes d'une justice indépendante, impartiale, transparente et humaine ne sont pas
négociables.
La réflexion d'une possible extension du périmètre du service public de la justice en amont et en aval
de la saisine du juge est un sujet connexe proposé par Jean-Marc Sauvé, lors de son intervention53
,à
l'occasion du colloque organisé le 12 février 2018, par l'Ordre des avocats, au Conseil d'État et à la
Cour de cassation.
52. « AI predicts outcomes of human rights trials », University College London, October 24 2016.
53. La justice prédictive, intervention de Jean-Marc Sauvé à l'occasion du colloque organisé à l'occasion du bicentenaire de
l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, 12 févr. 2018.

Hors collection - Droit de l'intelligence artificielle - 1re

Table des matières de la publication Hors collection - Droit de l'intelligence artificielle - 1re