Mémentos - Droit international privé - 14e - 43

CHAPITRE 1 - La détermination du tribunal compétent
43
atteindre les prévisions légitimes de la partie qui n'est pas intervenue dans la transmission
et qui peut se voir opposer la compétence des tribunaux français, qui n'avaient
pourtant a priori aucun titre à intervenir. Elle peut même apparaître comme un incitatif
à la fraude. Un étranger pourrait ainsi céder ses droits à un Français dans le seul but de
rendre les juridictions françaises compétentes. Il est vrai que la jurisprudence n'hésite
pas dans ce cas à faire jouer l'exception de fraude. Dans une perspective voisine, un
arrêt de la première chambre civile 24 novembre 1987 a retenu « que le cessionnaire
français d'une créance n'est pas en droit de se prévaloir des dispositions de l'article 14
du Code civil lorsque cette créance fait l'objet d'un litige devant un tribunal étranger
saisi par le cédant ou dont le cédant a accepté la compétence ».
2. L'exception
72. Certains traités et textes européens prévoient des dérogations au jeu des articles
14 et 15. C'est le cas en particulier du règlement nº 1215/2012 du 12 décembre
2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions
en matière civile et commerciale, qui sera examiné par la suite. Ce règlement
pose les règles de conflit de juridictions applicables en matière civile et commerciale
dans les États de l'Union européenne. Le principe de base du règlement est défini par
son article 4 : « (...) les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont
attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».
On s'intéresse donc en principe au lieu du domicile du défendeur. Pour éviter que la
portée de cette règle ne soit réduite, les rédacteurs du règlement ont estimé opportun
d'écarter le jeu des articles 14 et 15 du Code civil, dès lors que le justiciable auquel le
Français s'oppose est domicilié dans un État membre. L'article 5 du règlement énonce,
en substance, que les articles 14 et 15 du Code civil ne peuvent pas être invoqués à
l'encontre des personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre. À l'égard de
ces personnes, il faut appliquer les principes posés par le règlement.
73. Il faut néanmoins relever que l'article 6 du règlement conduit à l'inverse - et de
manière assez surprenante - à étendre la portée des articles 14 et 15. Selon cet
article 6, § 1, « si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre,
la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre,
sous réserve de l'application de l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2,
et des articles 24 et 25 ». Il s'agit alors simplement d'indiquer que le règlement ne
s'applique plus lorsque le défendeur est domicilié hors de l'Union, ce qui n'est en rien
critiquable. Mais l'article 6, § 2, ajoute que dans ce cas, « toute personne, quelle que
soit sa nationalité, qui est domiciliée sur le territoire d'un État membre, peut, comme
les ressortissants de cet État membre, invoquer dans cet État membre contre ce défendeur
les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment » les articles 14
et 15. La règle est surprenante car elle autorise un demandeur étranger domicilié en
France à attraire devant les tribunaux français un défendeur domicilié hors de
l'Union10
.L'article 6 crée donc un privilège de juridiction fondé sur l'existence d'un
domicile en France, indépendamment de toute idée de nationalité.
--
10. Pour une illustration, Cass. 1re
civ., 29 juin 2022, nº 21-10106.

Mémentos - Droit international privé - 14e

Table des matières de la publication Mémentos - Droit international privé - 14e