Mémentos - Droit des sûretés - 18e - 170

168
MÉMENTOS - DROIT DES SÛRETÉS
- en troisième lieu, le privilège est une sûreté légale. Les privilèges sont établis par
le législateur, lorsque celui-ci estime que la « qualité de la créance » l'exige (C. civ.,
anc. art. 2324). Par conséquent, la constitution du privilège est en principe automatique,
de plein droit, ne nécessitant l'accomplissement d'aucune formalité par le
créancier. Dès l'instant que la créance est régulièrement née, le créancier est
privilégié.
442. De ce caractère légal des privilèges découle un principe d'interprétation stricte.
Cette règle est déjà ancienne, puisque Merlin de Douai remarquait que « les privilèges
tirent leur source de la seule autorité de la loi3
». Il n'existe donc pas de privilège sans
texte. Soit un créancier est dans une hypothèse visée par la loi, et il peut se prévaloir
d'un privilège. Soit il est dans une situation autre, même si elle est proche, et il ne
pourra invoquer un quelconque privilège. La règle emporte diverses conséquences.
D'une part, les raisonnements par analogie sont proscrits en matière de privilèges. Il
n'est donc pas possible d'étendre un privilège à un créancier que la loi n'a pas
entendu privilégier. D'autre part, l'assiette du privilège ne peut être étendue. Ainsi,
par exemple, les parties ne pourraient convenir, ni le juge décider, que le privilège
grève le bien visé par la loi, mais aussi un autre bien du débiteur. Enfin, le principe
d'interprétation stricte prohibe toute autre source que la loi. Un privilège ne peut
donc pas être reconnu à un créancier par convention, ni même par jugement. Ni les
parties, ni le juge n'ont le pouvoir de créer des privilèges.
443. En revanche, la question est discutée de savoir s'il est possible de qualifier le privilège
de droit réel accessoire. Deux arguments tendent à favoriser cette qualification.
D'une part, le droit réel accessoire est un droit qui porte directement sur une chose
et qui est l'accessoire d'une créance en garantie de laquelle le bien grevé est affecté.
Cette définition semble s'appliquer au privilège. D'autre part, le privilège possède de
nombreuses similitudes avec l'hypothèque. Or, la qualité de droit réel accessoire de
cette dernière ne soulève guère de discussions. Pourtant, un argument s'oppose à
qualifier les privilèges de droit réel accessoire : le droit réel a nécessairement pour
assiette un bien déterminé. C'est le cas des privilèges spéciaux, mais non des privilèges
généraux. Dès lors, deux positions sont envisageables : soit ne reconnaître la qualification
de droit réel accessoire qu'aux seuls privilèges spéciaux, ce qui est conforme à la
réalité, mais présente l'inconvénient de morceler la notion de privilège ; soit refuser la
qualification de droit réel accessoire aux privilèges, afin de préserver l'unité de la
notion.
444. Il est difficile de porter une appréciation totalement favorable à l'égard des privilèges.
S'il en est qui se justifient par des considérations de justice sociale, voire de solidarité,
beaucoup de privilèges découlent d'une volonté de l'État de protéger ses intérêts.
En outre, certains privilèges sont tombés en désuétude et ne sont plus désormais
d'aucune utilité. Enfin, la quantité de privilèges créés est néfaste à la sécurité juridique,
en obscurcissant le droit des sûretés, et en le rendant, sur ces points, difficilement
accessible et compréhensible par les justiciables. Dès lors, certaines voix se sont
élevées pour réclamer la suppression pure et simple des privilèges. Une solution aussi
radicale n'est sûrement pas opportune. En revanche, il semblerait souhaitable de
--
3. Roland H. et Boyer L., Adages du droit français, Litec, nº 318.

Mémentos - Droit des sûretés - 18e

Table des matières de la publication Mémentos - Droit des sûretés - 18e