Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit administratif - 16e - 54

52
L'ESSENTIEL DES GRANDS ARRÊTS DU DROIT ADMINISTRATIF
7 CE, sect., 18 déc. 1959, SociétéLes Films Lutetia
« Considérant qu'en vertu de l'art. 1er
de l'ordonnance du 3juillet 1945, la représentation d'un film cinématographique est
subordonnée à l'obtention d'un visa délivré par le ministre chargé de l'Information ; qu'aux termes de l'article 6 du décret
du 3juillet 1945 portant règlement d'administration publique pour l'application de cette ordonnance, " le visa d'exploitation
vaut autorisation de représenter le film sur tout le territoire pour lequel il est délivré " ;
Considérant que, si l'ordonnance du 3juillet 1945, en maintenant le contrôle préventif institué par des textes antérieurs, a,
notamment, pour objet de permettre que soit interdite la projection des films contraires aux bonnes mœurs ou de nature à
avoir une influence pernicieuse sur la moralité publique, cette disposition législative n'a pas retiré aux maires l'exercice, en
ce qui concerne les représentations cinématographiques, des pouvoirs de police qu'ils tiennent de l'article 97 de la loi
municipale du 5 avril 1884 qu'un maire, responsable du maintien de l'ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le
territoire de celle-ci la représentation d'un film auquel le visa ministériel d'exploitation a été accordé mais dont la projection
est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances
locales, préjudiciable à l'ordre public (...) ; »
(Rejet).
■ Faits
Le maire de Nice avait interdit par arrêté sur le territoire de sa commune la diffusion d'un film (intitulé « Le feu dans la
peau »), au motif de sa contrariété aux bonnes mœurs, suite à l'action d'un groupement d'associations familiales. Or,
ce film avait reçu le visa ministériel d'exploitation. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure une autorité
de police administrative générale (le maire) peut aggraver la mesure prise par une autorité de police spéciale (le
ministre de la Culture).
■ Portée
Les conclusions du commissaire du gouvernement Mayras résument la portée de l'arrêt : « l'exercice d'un pouvoir de police
par l'autorité supérieure ne fait pas obstacle à l'intervention de l'autorité locale, et particulièrement du maire, lorsque des
circonstances locales justifient qu'une mesure plus restrictive que celle qui vaut sur le plan national soit prise ».
Ce principe est en l'occurrence appliqué au concours entre une police spéciale (du ministre de la Culture) et une police
générale (du maire). Le premier apport, mais pas celui essentiel, tient dans la combinaison des pouvoirs de police administrative
: le Conseil d'État confirme que l'octroi d'une police administrative spéciale à un ministre ne prive pas obligatoirement
le maire de la faculté d'intervenir au titre de son pouvoir de police administrative générale. Mais c'est sous
des conditions strictes.
L'autorité locale doit invoquer des troubles potentiels mais sérieux à l'ordre public et, si des circonstances locales (contrôlées
par le juge ; la « composition particulière de la population ») le justifient, peut invoquer des motifs tenant à l'immoralité
du film. Le juge administratif exerce sur les motifs ainsi invoqués un contrôle de la qualification juridique des faits.
C'est en réalité non pas tant sur la combinaison des pouvoirs de police (en l'occurrence, on l'a dit, entre les pouvoirs
du ministre de la Culture et ceux du maire) que l'arrêt innove, mais sur celui des éléments qui composent l'ordre
public que l'autorité locale est ou non susceptible d'invoquer à l'appui de sa mesure de police. Le Conseil d'État
admet évidemment l'invocation de troubles sérieux à l'ordre public pour justifier la mesure de police.
Mais de façon plus novatrice, il admet ainsi que l'immoralité d'un film soit invoquée à l'appui d'une mesure d'interdiction
de projection dudit film, à condition que ce motif soit accompagné par d'autres motifs, tenant aux
Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit administratif - 16e

Table des matières de la publication Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit administratif - 16e
