Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit des obligations - 6e - 190

188
L'ESSENTIEL DES GRANDS ARRÊTS DU DROIT DES OBLIGATIONS
2 Cass. civ., 11 juill. 1892 (Obligation in solidum)
[...] Attendu, en droit, que le cas où l'abordage a été causé par la faute respective des capitaines des deux navires n'est
pas prévu par l'article 407 du Code de commerce ; que, d'autre part, d'après les principes du droit commun, quand il y a
participation de plusieurs à un fait dommageable, la réparation doit en être ordonnée pour le tout contre chacun, s'il est
impossible de déterminer la proportion dans laquelle chaque faute a concouru à produire le dommage subi par la partie
lésée ; (rejet)
■ Faits
Deux navires, appartenant à la Compagnie maritime transatlantique, entrent en collision. L'un d'eux sombre avec sa
marchandise, dont des sacs de laine appartenant à M. H qui en demande le remboursement. L'enquête n'ayant pu
déterminer lequel des capitaines de navire est responsable de la collision, la cour d'appel estime que les capitaines du
Charles-Quint et de la Ville-de-Brest sont co-auteurs de la collision de ces deux navires, et qu'il n'est pas possible de
déterminer la part qui incombe à chacun d'eux dans cet accident. Elle décide que l'impossibilité de déterminer la
proportion dans laquelle chaque faute a concouru à produire le dommage subi par la partie lésée doit conduire à
ordonner la réparation pour le tout contre chacun des coauteurs.
La Compagnie générale transatlantique se pourvoit en cassation.
■ Portée
L'article 1202 du Code civil dans sa version antérieure à 2006, tout comme l'actuel article 1310 qui lui a succédé,
affirme que la solidarité ne se présume pas. Il est donc théoriquement impossible de condamner solidairement
plusieurs personnes si la loi ou la coutume ne le prévoit pas, notamment lorsque plusieurs personnes sont coresponsables
d'un dommage. L'arrêt du 11 juillet 1892 met en application pour la première fois une création d'origine doctrinale
qui remédie à cette impossibilité : l'obligation in solidum.
L'absence de disposition permettant de condamner solidairement les auteurs d'un même dommage avait pour conséquence
d'obliger les victimes à diviser leurs poursuites entre les différents coresponsables. Il devait être remédié à
cette solution insatisfaisante pour la victime. La Cour de cassation décide donc que dans le cas où plusieurs personnes
participent à un même fait dommageable, « la réparation doit en être ordonnée pour le tout contre chacun, s'il est
impossible de déterminer la proportion dans laquelle chaque faute a concouru à produire le dommage subi par la
partie lésée ». La Cour de cassation permet ainsi à la victime de poursuivre pour le tout l'un des coresponsables, en
pratique celui qui lui apparaîtra le plus solvable.
Il découle des termes de l'arrêt que le fondement de la solution devrait être recherché dans l'indivisibilité du lien de
causalité. Comme le confirme la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation, il semble que la garantie
de la victime soit un fondement plus réaliste de la condamnation in solidum des coresponsables.
La jurisprudence a fait une application très large de l'obligation in solidum. Celle-ci permet de mettre à la charge de
plusieurs personnes une même dette en l'absence de solidarité. Elle est identique à l'obligation solidaire en ce qu'elle
permet de poursuivre chaque débiteur pour le tout mais s'en distingue en ce qu'elle exclut tout lien de représentation
entre les débiteurs. L'obligation in solidum et l'obligation solidaire sont proches dans la mesure où elles tendent toutes
les deux à protéger le créancier. L'obligation in solidum est parfois qualifiée de solidarité imparfaite.

Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit des obligations - 6e

Table des matières de la publication Les Carrés Rouge - L'essentiel des grands arrêts du droit des obligations - 6e