Fonction publique - Concours ENM 2025 - 8e - 121

providence conduit à privilégier la dimension économique et sociale de l'individu au lien politique qui
unit les citoyens. De fait, « l'État-providence moderne assure désormais le lien social non plus en unissant les
populations autour d'un projet politique, mais en intervenant dans la vie économique » Ainsi, si la période qui
s'étend de la Révolution française à la fin tragique de la IIIe
République fut caractérisée par la force de ses
passions politiques et l'engagement de la nation dans les combats républicains, depuis la Seconde Guerre
mondiale, notre pays est moins caractérisé par son projet politique que par sa vie économique, culturelle
et sociale qui, depuis Mai 68, est la source de toutes les grandes transformations de la société. Derrière
ces évolutions, se lit la dynamique des « droits-créances » (le droit à l'emploi, au logement, au repos, aux
loisirs...) de l'individu aux dépens des droits objectifs, liés aux exigences de la vie collective.
La démocratie moderne est un « lieu vide », selon l'expression de Claude Lefort ; c'est un lieu abstrait,
dépourvu de toute incarnation dans une personne (contrairement à l'Ancien régime, où le pouvoir était
incarné par le roi) ou un groupe aux caractéristiques culturelles précisément identifiables. La conception
française de la citoyenneté pourrait ainsi s'interpréter comme la volonté d'annihiler les déterminismes
ethnoculturels. Or, nous assistons de façon contemporaine à l'exacerbation des requêtes de reconnaissance
de situations particulières déterminées par des appartenances ethniques, culturelles, sexuelles, de genre...
Ces revendications, pour légitimes qu'elles soient en principe, n'en mettent pas moins en tension le
paradigme universaliste républicain fondé sur la colorblindness (« l'indifférence à la couleur de peau »,
selon la terminologie décoloniale critique de l'universalisme occidental). Ces débats mènent également
à interroger les principes et modalités de l'intégration républicaine à la communauté nationale, dont on
diagnostique sans cesse la crise. Par ailleurs, l'émergence de nouveaux foyers de décision au niveau local
(collectivités) ou supranational (institutions internationales, entreprises mondialisées, Union européenne...)
contribue à mettre en concurrence les appartenances et à relativiser le cadre traditionnel de l'exercice de
la citoyenneté qu'est l'État-nation. Les citoyens français sont ainsi conjointement des citoyens européens,
voire des « citoyens du monde », expression qui, si elle ne recouvre aucune réalité juridique, atteste du
dépassement des appartenances nationales dans le sentiment d'une commune et universelle humanité.
B - L'APPEL À UNE CITOYENNETÉ RENOUVELÉE
L'historien Pierre Rosanvallon parle du passage d'une « démocratie d'autorisation » (limitée à l'autorisation
des représentants par le vote) à une « démocratie d'exercice » (passant par le contrôle, la surveillance et
l'évaluation des gouvernants) ; le constitutionnaliste Dominique Rousseau d'une « démocratie continue »
(par laquelle des assemblées délibératives de citoyens exerceraient un contrôle sur l'action des organes
représentatifs traditionnels) ; le politiste Georges Burdeau évoque quant à lui
la transition d'une
« démocratie gouvernée » à une « démocratie gouvernante ». Différents vocables pour une même idée :
régénérer l'expression démocratique pour retisser le lien perdu nécessaire à l'élaboration de consensus
et de compromis politiques. Concrètement, les réformes proposées empruntent généralement deux
voies distinctes et complémentaires : renforcer la démocratie directe - par exemple en multipliant les
référendums, soit en faisant de l'Assemblée nationale un miroir plus fidèle des courants politiques comme
de la diversité sociale du pays. Le thème de la VIe
République, apparu dans le débat public dès les années
1970, s'est ainsi imposé ces dernières années à la faveur de mouvements politiques participatifs (à l'image
de « Nuit debout » en 2016) ouvertement inspirés de l'idéal de l'agora grecque.
La confusion de la nationalité et de la citoyenneté a caractérisé l'histoire des démocraties modernes,
et constitue le fondement de l'organisation des droits politiques conférés aux individus membres de la
communauté nationale. Au-delà du droit, tout ce qui donne une forme concrète à la citoyenneté revêt
les habits du national (nous sommes citoyens français ou allemands ou italiens...), et nos institutions
demeurent le fruit d'une histoire spécifique. Pourtant, depuis la seconde moitié du XXe
siècle, la citoyenneté
est au cœur d'un débat sur la question de l'intégration des étrangers : faut-il décorréler citoyenneté et
120
Culture générale
ANNALES CONCOURS 2023
Fonction publique - Concours ENM 2025 - 8e

Table des matières de la publication Fonction publique - Concours ENM 2025 - 8e
