Fonction publique - Concours ENM 2025 - 8e - 122

nationalité ? Faut-il accorder le droit de vote aux étrangers ? Si oui dans quelles proportions ? Répondre
à ces interrogations doit nous conduire à trancher la question de savoir s'il faut élaborer une citoyenneté
politique postnationale fondée sur les principes des droits de l'homme (selon l'idée que la participation de
fait à une société doit donner droit par elle-même à la citoyenneté, indépendamment de l'acquisition de la
nationalité). Ainsi, la définition classique et restrictive de la citoyenneté comme pendant de l'appartenance
à un État-nation doit-elle être dépassée afin de rejeter un principe d'exclusion des non-citoyens et d'inégalité
entre citoyens et non-citoyens qui serait devenu insupportable ? Quoi qu'il en soit, et, en l'état du droit, la
France, comme les autres États de l'Union européenne, autorise, depuis le traité de Maastricht de 1992, les
seuls ressortissants de pays membres de l'Union européenne à voter aux élections locales et européennes.
Comme le note Dominique Schnapper dans La Communauté des citoyens, « la construction européenne
risque d'avoir pour effet pervers de contribuer à cette dépolitisation des démocraties libérales ». Là où le
système international en place jusqu'à la Seconde Guerre mondiale exacerbait les rivalités entre nations
et nourrissait l'élan patriotique des peuples, l'ère de paix et de prospérité qui s'installe à compter de 1945
tend à dévitaliser le sentiment national. En effet, l'Union européenne semble porter un projet d'extension
des droits de l'individu et des possibilités qui lui sont offertes (liberté de circulation au sein de l'espace
Schengen, Erasmus, liberté au sein du marché unique, libéralisation économique...) plutôt que celui d'un
renforcement des droits des citoyens. La vie commune est ainsi de plus en plus déterminée par des discussions
supranationales éloignées de nos arènes nationales et faisant intervenir des institutions non démocratiques,
à l'image de la décriée Commission européenne. Pour certains, qui entretiennent d'ailleurs la confusion
entre l'UE et le Conseil de l'Europe, l'Europe achève d'ailleurs un « gouvernement des juges » du fait du
pouvoir pris par la CEDH et la CJUE sur nos réglementations nationales. Les réactions les plus flagrantes au
sentiment de dépossession qui gagne les citoyens des pays-membres furent ainsi le refus d'une constitution
commune en 2005 et le Brexit de 2016 (voté sur la foi d'un certain nombre de mensonges...). Dans ce
contexte, la citoyenneté européenne est profondément mise à mal. Instituée par le traité de Maastricht en
1992 et complétée par le traité d'Amsterdam en 1997, la citoyenneté de l'Union complète mais ne remplace
pas la citoyenneté nationale (TUE, art. 9), elle semble constituer davantage une utopie qu'une perspective
crédible dans la mesure où elle ne saurait renfermer, à ce stade de notre histoire, l'épaisseur passionnelle
et la participation effective à la vie publique que requiert une telle dignité.
L'universalisme de la citoyenneté, proclamé avec force en 1789, constitue le cœur du projet politique
moderne. Ces droits, abstraits et mouvants, ne furent cependant que tardivement consentis aux femmes.
C'est dire à quel point la traduction concrète du projet moderne demeure un objectif à atteindre, dont
la réalisation est pavée de frictions et contradictions. Aujourd'hui, la citoyenneté est confrontée à une
crise trouvant sa source dans la dévitalisation du lien politique, au profit de logiques individualistes et de
la promotion des droits de l'homme dans un contexte de concurrence des sphères d'appartenances. Les
tentatives de renouvellement de la citoyenneté impliquent ainsi le dépassement du cadre stato-national,
notamment dans l'espace européen.
Il est intéressant d'évoquer ici le devenir de l'école, institution par excellence du développement de notre
État-nation et véritable assise de notre régime démocratique. En effet, l'appartenance et le sentiment
national exigent l'intégration des individus à la communauté nationale par l'inculcation de ses normes,
connaissances et valeurs communes autant que la démocratie suppose l'apprentissage du difficile métier
de citoyen. Ce double projet s'incarna parfaitement dans l'école de la IIIe
République. Or, le leitmotiv de la
crise de l'institution scolaire, confrontée à la perte de son caractère de sanctuaire et à l'indétermination de
son projet (doit-elle accueillir des individus ou imposer un modèle ? former des citoyens ou préparer au
marché du travail ?), révèle plus largement la crise de la citoyenneté.
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