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En tout état de cause, la place accordée au passé fait l'objet de nombreuses controverses dans nos sociétés,
à l'image de la restitution des biens artistiques spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale ou lors de la
colonisation. L'exercice de mémoire, entendu comme la capacité par un corps social à endosser son passé,
est donc difficile. Il dépend de contingences politiques et sociales. Il s'exprime différemment selon la nature
du régime politique. Toutefois, dans une société ouverte et confrontée à un sentiment d'accélération, le
besoin de mémoire est peut-être le signe que les sociétés craignent de perdre leur passé. Churchill avait fait
part de son inquiétude lors d'un discours à Zurich en septembre 1946 sur le fait que la seule leçon à tirer
de l'histoire serait que l'humanité ne peut rien apprendre. Cette formulation, moins de deux ans après la
défaite de l'Allemagne, peut surprendre. En réalité, le contexte de la guerre froide (1947), les nouvelles
tensions géopolitiques qui se dessinent obligent les sociétés à organiser le travail de mémoire pour ne pas
retomber dans les errements du passé. On prend ainsi conscience qu'oubli et mémoire ne s'opposent pas
forcément et qu'il y a une part d'oubli dans la mémoire. Dès lors, il est nécessaire de recourir à un travail de
mémoire qui soit respectueux de la société démocratique tant les dangers identifiés d'une mémoire sélective
ou empêchée peuvent menacer le vivre ensemble.
B. LE TRAVAIL DE MÉMOIRE, UN DÉFI DÉMOCRATIQUE
La mémoire c'est d'abord le respect dû à ce qui est essentiel au vivre ensemble. C'est la première leçon
d'Antigone, le personnage de la pièce éponyme de Sophocle. Ses frères s'étaient entre-tués pour le trône
de Thèbes après la mort d'Œdipe. Leur oncle Créon, qui fait office de régent, interdit sous peine de mort
d'ensevelir Polynice, coupable de trahison. Antigone brave l'interdiction en jetant de la terre sur le cadavre.
Elle est condamnée à mort. Les valeurs d'Antigone sont la famille, l'humanité, la religion et elle oppose aux
lois de la cité les lois qui régissent les êtres humains. Ce socle de valeur nécessite un travail de mémoire,
qui repose, notamment, sur les historiens et le politique. Le travail de mémoire, notion avancée par Paul
Ricoeur, vise à réconcilier l'individu avec le passé et avec lui-même pour éviter de sombrer dans une
mémoire sans cesse resassée. Cette notion n'est pas sans rappeler le travail de deuil.
L'histoire c'est d'abord les res gestae, c'est-à-dire les choses qui se sont effectivement produites et plus
exactement une science qui traite des faits passés. Les historiens ont donc pour mission de produire un
discours de vérité sur le passé. L'histoire vise à lutter contre l'oubli mais surtout à mieux comprendre
les évènements passés (on parle des leçons de l'histoire). Les premiers historiens s'inscrivent dans cette
démarche d'enquête (Hérodote, Thucydide). Ce qui conduit le travail d'historien à réfuter les croyances
des contemporains. Or, dans une société médiatisée, cet exercice est d'autant plus périlleux que le travail
d'historien doit répondre à une méthode pour être objectif sans laquelle il ne peut être considéré comme un
travail scientifique. Il s'agit de déterminer comment les choses furent exactement, ce qui suppose de pouvoir
critiquer les sources et documents utilisés. Les progrès historiographiques, en particulier au XIXe
siècle,
avec l'école positiviste représentée notamment par l'Allemand Léopold von Ranke, ou en France, avec
Charles Langlois et Charles-Victor Seignobos, auteurs d'une Introduction aux études historiques (1897),
affirment le caractère scientifique de l'histoire. L'école des Annales, avec Marc Bloch, Fernand Braudel ou
Lucien Febvre, va poser les fondements d'une histoire qui questionne le passé à partir du présent tout en
étant une histoire totale, en s'ouvrant à d'autres disciplines. L'histoire culturelle et l'histoire des mentalités
sont également utilisées pour en faire une science globale pouvant éclairer les débats publics et la vie de
la cité, comme le montre l'essai d'Emmanuel Le Roy-Ladurie sur l'Histoire du climat depuis l'an mil. Les
historiens sont donc invités à des commissions de réflexion, avec d'autres scientifiques. Enfin, certains
travaux intéressent le grand public. Montaillou, village occitan, essai d'Emmanuel Le Roy-Ladurie paru en
1975, est édité à plus de deux millions d'exemplaires. En effet, l'histoire offre des leçons à commencer pour
les gouvernants. Les pouvoirs publics doivent par conséquent veiller à un environnement propice et serein
pour la recherche historique, ce qui suppose aussi de pouvoir rendre accessible les archives.
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