Fonction publique - Concours-Police-Officier-et-Commissaire 2025 - 5e - 16

[Idée n° 2 : La manifestation s'est imposée comme un mode d'expression privilégié et protégé en démocratie]
Au-delà de sa composante électorale, la démocratie se conçoit comme un lieu de délibération et de
confrontation des idées et des opinions individuelles et collectives, dont l'expression est libre pour autant
qu'elle respecte les limites imposées par la loi dans un but de préservation de l'ordre public et de la liberté
d'autrui. Ainsi que le rappelle Bernard Manin dans ses Principes du gouvernement représentatif, cette liberté
de l'opinion publique garantit que, si les représentants ne sont pas tenus de mettre en œuvre la volonté du
peuple (l'article 27 de la Constitution française du 4 octobre 1958 dispose : « Tout mandat impératif est
nul »), ils ne peuvent l'ignorer.
À partir du XIXe
siècle, avec l'affirmation du mouvement ouvrier (à la suite de l'instauration du suffrage
universel en 1848, qui inaugure l'entrée des « masses » en politique), et dans un contexte d'urbanisation
lié à la révolution industrielle, la rue devient un lieu privilégié de l'expression populaire avec l'organisation
de manifestations, que l'on peut définir comme « un déplacement collectif organisé sur la voie publique
aux fins de produire un effet politique par l'expression pacifique d'une opinion ou d'une revendication »
(Pierre Favre (dir.), La manifestation). Si elle est aujourd'hui un mode d'action routinier des démocraties
contemporaines, son histoire est celle d'une conquête progressive. Le pouvoir s'en défia au point de
la réprimer brutalement (l'épisode de la Commune, à Fourmies en 1891, envoi de la troupe contre les
mouvements sociaux du printemps 1906) avant que sa pacification progressive en fasse un évènement
parfois houleux mais néanmoins codifié de l'action politique.
De fait, l'expression de l'opinion dans la rue est aujourd'hui un baromètre de la légitimité politique, tantôt
accueilli, tantôt redouté par le pouvoir. Que l'on songe aux grandes manifestations de 1995 (contre le projet
de réforme des retraites porté par le gouvernement d'Alain Juppé) ou aux manifestations contre le « contrat
première embauche » (CPE), porté en 2006 par le gouvernement de Villepin, ayant conduit le président
Jacques Chirac à suspendre la promulgation de la loi, pourtant régulièrement adoptée par le Parlement,
ces évènements démontrent au besoin la persistance du « pouvoir de la rue » dans notre démocratie. Pour
autant, et contrairement à ce que suggère l'imaginaire contestataire, la manifestation n'est pas réservée
aux rangs de la gauche : manifestation de soutien au général de Gaulle du 30 mai 1968, mouvement de
l'École libre de 1984 et, plus récemment, « manif pour tous ». Il existe également des rassemblements
transpartisans, unis autour des valeurs de la République (après les attentats de 2015).
[Idée n° 3 : La manifestation n'a « voix au chapitre » que pour autant qu'elle exclut la violence] Si la rue est
aujourd'hui un lieu habituel de l'expression démocratique, elle ne l'est que pour autant que ses usages
soient pacifiques. La loi du 7 juin 1848 le reconnaît implicitement en introduisant une distinction entre les
attroupements armés, totalement interdits, et les attroupements non armés, interdits seulement s'ils sont
susceptibles de « troubler la tranquillité publique ». C'est le sens du régime actuel des manifestations : depuis
le décret-loi du 23 octobre 1935, « tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon
générale, toutes manifestations sur la voie publique » doivent faire l'objet d'une déclaration en mairie, qui
peut déboucher sur une interdiction « si l'autorité investie du pouvoir de police estime que la manifestation
projetée est de nature à troubler l'ordre public », le Conseil d'État contrôlant la proportionnalité de la
mesure d'interdiction (et non seulement la réalité de la menace de troubles à l'ordre public).
En effet, comme le rappelle Frédéric Worms dans Les Maladies chroniques de la démocratie (2017), la
démocratie est « une aspiration morale et sociale qui naît du refus de la violence intérieure entre les êtres
humains ; de la violence qui surgit de l'intérieur des sociétés, des relations et des groupes ». Cela s'explique
par le fait que l'irruption de la violence, toujours possible dans la relation de pouvoir, conduit toujours à
l'abus de pouvoir et donc à la tyrannie. Ainsi, l'usage de la force est proscrit dans un cadre démocratique
car il est synonyme d'arbitraire et de domination d'un groupe (exerçant la violence) sur un autre (la victime
de la violence).
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