Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 131

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
justice de genre 9. Nous prendrons appui sur quelques affaires portées devant la
CPI, en particulier le procès de Thomas Lubanga (2009-2012), un procès
hautement médiatisé et qui a été l'objet d'interventions importantes de la part de
groupes féministes tel que le Women's Initiative for Gender Justice, pour illustrer
ces débats et observer dans la pratique quelles furent les obstacles à la prise en
compte du genre dans le droit pénal international. Enfin, nous étudierons de plus
récents développements en lien avec les travaux du Bureau du Procureur 10 de la
CPI pour déterminer les impacts possibles des nouvelles politiques quant à une
inclusion plus exhaustive du genre lors des poursuites pénales à venir et dans les
décisions de justice rendues par la CPI. Nous nous demandons si, de fait, ce
parcours institutionnel officiel est la meilleure façon de parvenir à une justice de
genre.
I. Faire entrer le genre dans le statut de Rome : une « victoire »
pour les féministes ?
Bien que saluée comme une « victoire » par certaines féministes 11,
l'inclusion du genre dans le statut de Rome a été aussi l'objet de vives
controverses et de désaccords entre différents groupes et parties prenantes
féministes ; elle a été combattue par divers lobbies politiques et régionaux. Le
projet initial de statut d'une Cour pénale internationale (élaboré en 1994 par la
Commission du droit international) n'incluait pas la notion de genre. Il parut par
conséquent indispensable aux féministes de se mobiliser pour que le terme soit
intégré d'une manière ou d'une autre. Le Women's Caucus for Gender Justice
représentait le principal collectif créé pour faire pression dans ce sens ; il
regroupait un ensemble d'individus et d'ONG qui s'étaient spécifiquement
constitués en réseau pour cela 12. Le WCGJ tirait avantage du fait d'être ce que
l'on peut appeler un collectif « féministe d'État » ou « féministe
institutionnel » 13, dont les membres firent jouer leurs liens et leur appartenance
9. La justice de genre a été définie comme « la protection et la promotion des droits civils,
politiques, économiques et sociaux sur la base de l'égalité de genre. Cela nécessite d'adopter
une perspective de genre sur les droits eux-mêmes, ainsi que d'évaluer l'accès et les obstacles
à la jouissance de ces droits pour les femmes, les hommes, les filles et les garçons et d'adopter
des stratégies genrées pour les protéger et les promouvoir » (Pam SPEES, « Women's Advocacy
in the Creation of the International Criminal Court: Changing the Landscapes of Justice and
Power », Signs, 28, 4, 2003, p. 1233-1254).
10. Le Bureau du Procureur (« le Bureau ») est un organe indépendant de la Cour. Il est chargé
d'examiner les situations relevant de la compétence de la Cour dans lesquelles un génocide, des
crimes contre l'humanité, des crimes de guerre ou d'agression paraissent avoir été commis, ainsi
que de conduire les enquêtes et les poursuites contre les individus qui seraient les principaux
responsables de ces crimes.
11. Pam SPEES, « Women's Advocacy in the Creation of the International Criminal Court », op. cit.
12. Valerie OOSTERVELD, « Constructive Ambiguity and the Meaning of Gender for the
International Criminal Court », dans International Feminist Journal of Politics, 16, 4, 2014,
p. 563-580.
13. Meryl KENNY, « Gender, Institutions and Power: a Critical Review », dans Politics, 27, 2, 2007,
p. 91-100.
131
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.