Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 137

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
L'organisation Women's Initiatives for Gender Justice (WIGJ) 35 a critiqué
avec véhémence l'absence du moindre chef d'inculpation de viol ou de violence
sexuelle, soulignant par ailleurs les nombreuses preuves accablantes de la
complicité et de l'implication de Lubanga dans l'utilisation du viol comme arme
de guerre 36. Le WIGJ a tenté en vain de faire amender les charges contre Lubanga
pour inclure les actes de violence sexuelle. Néanmoins, au cours des dépositions,
il est devenu évident que Lubanga était bien responsable de l'esclavage des
jeunes filles et des violences sexuelles qu'elles avaient subies. Le WIGJ a déclaré
que les dépositions de ces jeunes filles soldats démontraient que « leur
vulnérabilité en tant que filles avait été exploitée systématiquement et
intentionnellement, et que, par conséquent, elles avaient été privées de leur droit
à une enfance, de leur droit d'être scolarisées, de leur droit à l'intégrité, à la santé
reproductive et à l'autonomie sexuelle » 37. La déception s'immisçait également
parmi les rangs des activistes féministes de la RDC devant l'absence de chefs
d'accusations ressortissant aux violences liées au genre, comme l'expliquait une
activiste congolaise : « Nous pensons que le peuple congolais sera déçu par les
accusations portées contre Lubanga, qui semblent dérisoires au regard des crimes
qu'il a commis pendant la guerre [...] Le peuple congolais espère que la Cour
pénale internationale amendera les accusations pour y inclure d'autres crimes,
tels que les viols de femmes, les massacres et les incendies de villages entiers » 38.
Suite aux dépositions de filles et de femmes contre Lubanga qui décrivaient
dans le détail les expériences subies de violences sexuelles et sexistes, le procès
a été suspendu à la fin des réquisitoires, en juillet 2009, afin de déterminer si les
charges devaient être amendées pour ajouter l'esclavage sexuel aux crimes dont
était accusé Lubanga. Cependant, cet ajout a finalement été rejeté en décembre
2009 par la chambre d'appel de la Cour pénale internationale. Lubanga a été
reconnu coupable, en mars 2012, des trois chefs d'accusation suivants : (I)
l'enrôlement, (II) la conscription et (III) la participation forcée d'enfants âgés de
moins de quinze ans à des hostilités. Il a été condamné à 14 ans de prison. L'une
des juges, Elizabeth Odio Benito, a exprimé une opinion divergente et a dénoncé
l'exclusion des crimes de violence sexuelle des chefs d'accusation contre
Lubanga. Elle affirmait que la décision, prise à la majorité, était discriminatoire
en ce sens qu'elle ne tenait pas compte du fait que la violence sexuelle avait des
répercussions de nature différente sur les filles et les garçons recrutés comme
enfants soldats 39.
35. Ce mouvement s'est créé dans le prolongement du Women's Caucus for Gender Justice, qui
faisait pression pour l'inclusion du genre dans le statut de Rome. Le WIGJ s'est engagé à veiller
à l'inclusion du genre dans les poursuites devant la CPI.
36. WIGJ, « The Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo: Trial Finally Under Way », dans Legal Eye
on the ICC, 1, 2009.
37. WIGJ, Gender Report Card on the International Criminal Court 2009, La Haye, 2009.
38. Cité dans Suzan M. PRITCHETT, « Entrenched Hegemony, Efficient Procedure or Selective
Justice? », op. cit., p. 273.
39. ICC-01/04-01 : 06-2842, opinion distincte et divergente de la Juge Odio Benito, § 21.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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