Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 14

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
d'une influence " familialiste " contrariant la poursuite de finalités " féministes "
» 16.
Ce processus complexe de perpétuation des inégalités à laquelle les femmes
sont exposées intègre aux facteurs structurels d'ordre socio-économique des
facteurs tenant aux représentations de ceux qui énoncent les règles et de ceux qui
les appliquent. La superbe analyse proposée dans La Loi et le Genre met ainsi en
relief, encore beaucoup plus largement que je ne l'avais fait, à la fois les
ambiguïtés d'un droit qui, dans ses différentes déclinaisons suivant les catégories
de la pratique juridique, « peut tout à la fois énoncer un objectif d'égalitarisation
des conditions et en même temps établir des zones d'incertitudes, reflet des
ambivalences de ceux (et celles) qui l'ont produit, laissant la possibilité aux
stéréotypes de genre de perdurer dans la formulation même du texte ou dans ses
appropriations ultérieures » 17. Mais le poids des représentations sociales se
manifeste également, en aval, dans le travail de doctrine et dans celui de la
jurisprudence, qui se donnent à voir finalement « comme des appropriations
différentielles », confirmant ainsi le caractère mystificateur de ces « exercices
d'interprétation et de construction des jugements qui se présentent comme des
raisonnements inspirés de la neutralité apparente du droit et dissimulent en réalité
les influences de visions du monde qui restent irréversiblement genrées » 18. Un
tel processus trouve enfin son prolongement dans des pratiques d'institution dont
les agents se donnent, dans la réalité, la possibilité d'orienter leur intervention en
fonction de stéréotypes susceptibles d'inspirer le maintien des inégalités. Le
présent ouvrage s'inscrit très pertinemment dans la continuité de ce type
d'analyse, notamment quand les auteurs et autrices se penchent sur les résistances
ou les ambivalences se manifestant dans la formulation ou les applications du
droit pénal, ou sur la persistance des représentations genrées des intervenants et
des intervenantes dans divers domaines de l'application du droit.
Finalement, au-delà d'une contribution majeure et ouvrant de nouveaux
horizons à la quête de sens par les sciences sociales sur la genèse et les conditions
de perpétuation des inégalités, l'approche par le genre démontre comme une
évidence, et comme je l'avais évoqué au début de mon propos en parlant de la
domination, l'indissociabilité de la question du droit et de la question du
politique. Avec Anne Revillard, nous avions ainsi observé cette sorte
« d'indissociabilité entre l'analyse du juridique et celle du politique [...] le
processus de production des lois et des politiques publiques afférant au statut des
femmes [apparaissant] ainsi comme le révélateur privilégié de débats
fondamentaux sur les finalités et les frontières du politique » 19. De ce point de
16. Jacques COMMAILLE, « Les injonctions contradictoires des politiques publiques à l'égard des
femmes », dans Jacqueline LAUFER, Catherine MARRY et Margaret MARUANI (éd.), MasculinFéminin
: questions pour les sciences de l'homme, PUF, Paris, 2001, p. 130.
17. Jacques COMMAILLE, « Notes de lecture sur l'ouvrage La Loi et le Genre », dans Cahiers du
genre, 61, 2016, p. 222.
18. Ibid., p. 223.
19. Jacques COMMAILLE et Anne REVILLARD, « Présentation du dossier " Droit et politique face aux
inégalités de genre " », dans Droit et société, 62, 2006, p. 15 et 19.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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