Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 151

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
en se conformant aux attentes sociales 33. Sur la répudiation, les positions varient.
Bien qu'elle soit légalement proscrite (le Code de la famille ne reconnaît que le
divorce judiciaire), la répudiation reste une pratique courante et socialement
admise. Certaines militantes plaident pour une lutte ferme pour y mettre fin alors
que d'autres sont favorables à une approche plus pragmatique, qui consiste à
assurer des droits aux femmes répudiées à défaut de pouvoir supprimer la
pratique.
Contrairement au combat sur le droit de la famille, qui agrège plusieurs
revendications, celui sur l'avortement est plus restreint, limitant a priori les
sources de divergences. En effet, les associations mobilisées limitent leur
plaidoyer au strict cadre défini par l'article 14 du protocole de Maputo. La
solidarité se révèle pourtant parfois difficile à tenir : « Pour une émission radio
sur la santé de la reproduction, j'ai dû solliciter une des membres de l'AFEMES 34
qui ne faisait pas partie de nos référentes habituelles. En tant que gynécologue,
on lui demandait simplement d'exposer les conséquences sanitaires des
avortements clandestins, sans prendre position. Or elle l'a fait et elle a pris le
contre-pied de notre plaidoyer ». Face aux réserves ainsi exprimées, il n'est pas
question de militer pour un droit à l'avortement pour toutes, ce qui conduit
inévitablement à exclure toutes les femmes qui veulent avorter, par exemple à la
suite d'une grossesse accidentelle ou de la grossesse de trop.
2. Le pari de la mobilisation du référentiel religieux
Mais pour les militantes de l'AJS, il est désormais impossible de tenir un
discours qui ferait fi de la religion. Elles ne s'inscrivent cependant pas dans la
perspective d'un féminisme islamique - qui propose un discours sur l'égalité de
genre issu « d'une synthèse entre connaissance de la condition féminine en
milieu musulman et relecture érudite des textes religieux » 35 - mais s'affirment
comme musulmanes et croyantes. C'est une manière de montrer que les luttes
qu'elles portent ne sont pas en contradiction avec l'islam et ainsi de rassurer plus
largement parmi les femmes de la base. En effet, plusieurs associations actives
dans les régions militent pour une ouverture aux religieux et aux hommes plus
généralement : « Sans les hommes, les femmes seules ne peuvent pas faire le
changement. Les hommes ont ce pouvoir. À tous les niveaux il faut les impliquer
pour les convaincre » 36. L'AJS sollicite donc le soutien de religieux ouverts à ses
combats : « À chaque fois qu'on veut opposer aux islamistes le discours
religieux, on contacte un religieux » ; « leur discours porte. Et les hommes ne
bronchent pas car ils font face à un érudit, qui connaît la religion ».
33. Coumba KANE, « La polygamie ne rebute plus les femmes instruites », op. cit.
34. Association des femmes médecins.
35. Margot BADRAN, « Où en est le féminisme islamique ? », dans Critique Internationale, 46,
2010, p. 25-44.
36. Entretien avec une militante de l'APROFES (Association pour la promotion de la femme
sénégalaise), Kaolack, 2009.
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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