Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 175

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
intersexes, trans, ou de celles qui se définissaient comme " non binaires " du point
de vue du genre ou de la sexualité »
11
.
C'est au regard des enjeux et biais soulevés par les catégorisations structurant
encore les recueils de données que nous avons construit, avec ma collègue Janine
Mossuz-Lavau, le module « Genre et politique » de l'enquête pré-électorale du
CÉVIPOF pour l'élection présidentielle de 2017 en France en ajoutant l'item
« Autre » aux catégories « Homme / Femme », réponses habituelles pour la
variable sexe dans les enquêtes quantitatives 12. Intégré lors de la vague 3, ce
module a été réalisé entre le 11 et le 20 mars 2016 auprès de 20 319 personnes
interrogées sur internet et selon la méthode des quotas, par l'institut IPSOS.
L'ajout de l'item « Autre » dans cette étude avait en particulier pour objectif de
tester, sur un échantillon représentatif, la manière dont serait reçue la possibilité
de se définir à l'état civil autrement qu'à travers une catégorisation sexuée
binaire. Dans cette enquête, la proportion des personnes qui, quand elles en ont
la possibilité, dépassent l'identification sexuée binaire en vigueur à l'état civil en
cochant « Autre », est de 0,82 % de l'échantillon. Afin de pouvoir analyser le
sens de ce choix, il a été proposé aux personnes se définissant comme « Autre »
d'expliciter ce que cela signifiait pour eux. L'analyse du sens donné à ce choix
et des caractéristiques sociodémographiques et politiques de celles et ceux qui se
qualifient comme « Autre » permet de considérer le dépassement de
l'identification sexuée binaire comme un scénario impliquant des enjeux
juridiques et politiques dans un contexte d'attentes et de réalités sociales
complexes.
Cette recherche s'inscrit dans une approche de théorie politique dite ancrée
dans la mesure où elle opère une réflexion conceptuelle critique sur la dimension
éminemment politique des classifications identitaires en expérimentant un
nouveau scénario. Avec l'historienne Joan Scott, la politique y est associée non
pas à l'art du possible, mais à « la négociation de l'impossible, la tentation de
parvenir à des solutions qui - dans les sociétés démocratiques - se rapprochent
des principes de justice et d'égalité, mais qui ne les atteignent jamais, ce qui
laisse la porte ouverte à de nouvelles formulations, de nouvelles configurations
sociales, de nouvelles négociations » 13. Après avoir examiné en quoi
l'assignation à la binarité sexuée et sa remise en cause sont politiques, nous
aborderons le rôle du droit comme une arme 14
pour mettre à distance la
naturalisation des catégorisations identitaires au nom de la mise en œuvre d'un
11. Mathieu TRACHMAN et Tania LEJBOWICZ, « Des LGBT, des non-binaires et des cases :
catégorisation statistique et critique des assignations de genre et de sexualité dans une enquête
sur les violences », dans Revue française de sociologie, 59, 4, 2018, p. 677.
12. Janine MOSSUZ-LAVAU et Réjane SÉNAC, « Homme/Femme/Autre face à l'élection
présidentielle », Note CEVIPOF, 15, 2016, URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01311935/ ;
« Ne peut-on imaginer un avenir sans la mention du sexe à l'état civil ? », Le Monde,
7 mai 2016.
13. Joan W. SCOTT, « L'énigme de l'égalité », dans Cahiers du genre, 33, 2002, p. 40.
14. Liora ISRAËL, L'Arme du droit, Presses de Sciences Po, Paris, 2009.
175
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01311935/

Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.

Table des matières de la publication Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique.