Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 178

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
sexuelle... Le sentiment d'injustice repose ainsi sur la conscience qu'ont les
sujets en position 26 de minorité sociale d'être vulnérables à la domination. Dans
cette perspective, la remise en cause des processus de domination est un « bien
commun de la citoyenneté » dans la mesure où elle repose sur une
« resignification » du lien politique. Quelle est la place et le rôle du droit dans
cette resignification ?
2. Du dilemme de l'égalité : entre dépassement de l'assignation
identitaire et prise en compte des différences de situation et de traitement
Comme le souligne Judith Butler, la performativité est plurielle car « à l'idée
d'une puissance souveraine ayant d'extraordinaires pouvoirs linguistiques s'est
généralement substitué un ensemble bien plus diffus et plus complexe de
pouvoirs discursifs et institutionnels » 27. La catégorisation binaire de l'état civil
participe de cette performativité en conditionnant l'inscription et les
interpellations genrées qui nous « produisent » au sens où « elles informent les
modes vécus d'incarnation que nous acquérons avec le temps, et que ces modes
d'incarnation peuvent être des manières de contester ces normes et même de
rompre avec elles » 28. L'enjeu est de se libérer de ce pouvoir qui « s'exerce sur
la vie quotidienne immédiate, qui classe les individus en catégories, les désigne
par leur individualité propre, les attache à leur identité, leur impose une loi de
vérité qu'il leur faut reconnaître et que les autres doivent reconnaître en eux » 29.
Cet engagement pour l'émancipation articule défense d'une souveraineté et
d'une subjectivité égales et libres. La revendication de souveraineté peut être
associée à une lutte axiomatique où le droit joue un rôle central dans
l'acquisition, par les minorisé·es sociaux, d'un statut légal à la majorité, via
l'égalité devant la loi, mais aussi à la mise en œuvre de mesures spécifiques telles
que la discrimination positive. L'appropriation d'une subjectivité autonome
renvoie aussi au fait de ne pas se définir - ou plutôt ne pas être défini - par des
énoncés hérités de la dichotomie minorité/majorité, dominant·e/dominé·e. Ces
deux faces de l'engagement sont coextensives dans la mesure où elles opèrent
sur deux plans irréductibles. Le dilemme est alors de s'engager dans une
émancipation qui ne soit pas conditionnée par des catégories identitaires qui
limitent et enferment la lutte. J. Butler aborde le caractère imbriqué de ces deux
26. Chantal Mouffe utilise l'expression de « position de sujet » pour rendre compte de la
pluralisation des espaces de contestation et des fronts de lutte ainsi que du défi de leur
articulation critique autour d'une « chaîne d'équivalence démocratique » afin qu'elles se
fortifient et non qu'elles s'affaiblissent (cf. en particulier Chantal MOUFFE, Le Politique et ses
enjeux : pour une démocratie plurielle, La Découverte, Paris, 1994). En parlant de
« position » plutôt que de « culture », Amartya Sen souligne lui la complexité et la pluralité des
relations d'appartenance des individus aux différentes structures collectives (Amartya SEN,
« Positional Objectivity », dans Philosophy and Public Affairs, 22, 2, 1993, p. 126-145).
27. Judith BUTLER, Rassemblement. Pluralité, performativité, politique, trad. Christophe Jaquet,
Fayard, Paris, 2016 [2015] p. 41.
28. Ibid.
29. Hubert DREYFUS et Paul RABINOW, Michel Foucault, un parcours philosophique, Gallimard,
Paris, 1984, p. 302.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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