Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 198

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
l'autodétermination, à bannir la stérilisation des personnes transgenres ainsi que
les « traitements médicaux obligatoires » et à envisager une troisième option
d'identité sur les documents officiels 51. Plusieurs directives de l'Union
européenne prirent également en compte l'identité de genre, qu'il s'agisse des
motifs de persécution des réfugié·es 52 ou de protection des victimes de la
criminalité 53.
Ainsi, le genre a d'ores et déjà étendu les frontières des protections légales
dont bénéficient les femmes et les minorités sexuelles. Sa ductilité sémantique
facilite les traductions et retranscriptions d'un échelon juridique à l'autre et
permet, ce faisant, de renforcer la lutte contre les discriminations. Il opère donc
un véritable travail de « légitimation » 54. En revanche, les dispositifs de lutte
contre les stéréotypes de genre 55 et de protection des identités de genre restent,
en France, faibles. La loi du 18 novembre 2016 autorise le changement d'état
civil sans imposer de conditions médicales (opération et/ou traitement
hormonal), mais ce changement doit être prononcé par le tribunal de grande
instance sur la base d'une réunion suffisante de faits 56. L'autodétermination des
personnes transgenres par simple déclaration devant un officier ou une officière
d'état civil n'a pas été retenue. En outre, le changement d'état civil n'est pas
autorisé pour les mineur·es, sauf en cas d'émancipation. Seul le prénom de
naissance peut être changé directement auprès de l'office d'état civil (y compris
pour les mineur·es). À l'échelle supranationale, la CEDH a elle-même adopté une
position ambivalente : si elle condamne la stérilisation des personnes
transgenres, elle laisse aux États la liberté d'apprécier si une procédure de
changement d'état civil doit être médicalisée ou non 57. Si la notion de genre est
vectrice, en tant que telle, de transformations épistémologiques et juridiques 58,
son potentiel n'a donc pas encore été totalement exploité.
51. Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, résolution 2048,

(consulté le 10 décembre 2019).
52. Article 10 de la directive 2011/95/UE.
53. Directive 2012/29/UE.
54. Jacques LAGROYE, « La légitimation », dans Jean LECA et Madeleine GRAWITZ (éd.), Traité de
science politique, PUF, Paris, 1985, p. 395-467.
55. Diane ROMAN, « Les stéréotypes de genre, " vieilles lunes» ou nouvelles perspectives pour le
droit ? », dans Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, Mathias MÖSCHEL et Diane ROMAN (éd.), Ce
que le genre fait au droit, Dalloz, Paris, 2013, p. 93-121.
56. Marie MESNIL, « La démédicalisation du changement de sexe à l'état civil : une conception
renouvelée du sexe et du genre », Journal de droit de la santé et de l'assurance maladie, 6,
2017, p. 61-69.
57. Benjamin MORON-PUECH, « L'arrêt A. P., Nicot et Garçon c. France ou la protection
insuffisante par le juge européen des droits fondamentaux des personnes transsexuées », La
Revue des droits de l'Homme, 2017, URL : https://journals.openedition.org/revdh/3049.
58. Marie-Xavière CATTO et al., « Questions d'épistémologie : les études de genre en terrain
juridique », dans Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, Mathias MÖSCHEL et Diane ROMAN (éd.),
Ce que le genre fait au droit, op. cit., p. 3-24.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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