Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 225

POSTFACE
d'identité de genre dans le droit, via les politiques relatives aux trans, a un effet
retour sur la société tout entière, qui se retrouve interrogée et potentiellement
recatégorisée au regard de ce nouvel ordonnancement. Pour rendre compte de
cette boucle de rétroaction entre genre et droit, A. Jaunait se réfère à la notion de
coengendrement ou de coproduction, développée notamment par Coline Cardi et
Anne-Marie Devreux 7. Par contraste, la référence à l'approche constitutive a
l'intérêt de s'inscrire dans une conception plus générale, permettant de mettre en
évidence combien la constitution mutuelle du droit et du genre peut se
comprendre en tant que sous-ensemble de la constitution mutuelle du droit et de
la société.
Malgré les limites et les quelques apories, soulignées par Stéphanie HennetteVauchez,
de ces mobilisations du droit, la dynamique présente dans les différents
chapitres pointe parfois une incomplétude, mais aussi souvent un progrès du droit
dans la reconnaissance et le façonnage de nouvelles relations entre sexe, genre,
et identité. De manière paradoxale, ces quatre papiers ne s'intéressent pas à ce
que Kitty Calavita, dans un article provocateur, a qualifié de pouvoir
« déconstitutif » du droit, à propos de la décision de la Cour suprême italienne
qui avait considéré qu'il ne pouvait y avoir eu viol puisque la victime portait des
blue-jeans (supposant que ceux-ci ne peuvent être retirés sans le consentement
de celle qui les porte...) 8. Le droit peut parfois jouer un rôle antinomique et
destructeur à l'encontre des valeurs de justice et de progrès qu'il est censé
incarner, y compris s'agissant des questions de genre, comme le souligne
K. Calavitta, ou comme a pu le montrer, sur un tout autre terrain, Michael
McCann en reprenant à Robert Cover les notions de jurisgenesis et jurispathy 9.
Ce que le droit peut faire advenir, il peut aussi parfois le défaire au gré des
changements de régime ou de jurisprudence.
Cette dimension finalement plus pessimiste à l'égard de l'articulation entre
droit et genre se retrouve davantage, semble-t-il, dans les chapitres à tonalité plus
directement empirique de l'ouvrage. Les riches enquêtes présentées
respectivement par Marion Flécher, Muriel Mille et Gabrielle Schütz sur les
avocates en droit de la famille, par Kathia Barbier sur l'invisibilisation des
femmes dans les statistiques de la délinquance ou par Arthur Vuattoux au sujet
de la prise en charge sanitaire des mineur·es, concernent peut-être moins
l'articulation entre genre et droit que la question de l'institution judiciaire aux
prises avec les dimensions de genre. Chacune à leur manière, ces recherches
mettent en évidence la contribution du droit à la reproduction des inégalités de
7. Coline CARDI et Anne-Marie DEVREUX, « Le genre et le droit : une coproduction », dans
Cahiers du genre, 57, 2014, p. 5-18.
8. Kitty CALAVITA, « Blue Jeans, Rape and the " De-Constitutive " Power of Law », dans Law and
Society Review, 35, 1, 2001, p. 89-116.
9. George I. LOVELL, Michael MCCANN et Kirstine TAYLOR, « Covering Legal Mobilization: a
Bottom-Up Analysis of Wards Cove v. Atonio », Law and Social Inquiry, 41, 1, 2016, p. 6199.
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DROIT
ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

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