Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 27

INTRODUCTION
notion « d'identité de genre » dans le droit français (celle là-même qu'Alexandre
Jaunait aborde dans le chapitre qui ouvre cet ouvrage) ne signifie pas pour autant
l'abandon de la binarité de la notion de sexe : une année plus tard, en réponse au
recours d'une personne qui avait demandée à être reconnue par l'état civil comme
étant de « sexe neutre », la Cour de cassation française a en effet explicitement
affirmé le caractère strictement binaire de la catégorie de sexe à l'état civil,
qu'elle a présentée comme le fondement de l'ordre social et juridique.
S. Hennette-Vauchez développe la thèse selon laquelle la capacité du droit à
reconnaître les transformations sociales touchant à la manière dont les personnes
définissent leur identité de genre et sa faculté à y contribuer à son tour est limitée
par l'hétéronormativité persistante du droit parental et matrimonial.
Poursuivant la réflexion sur cette même thématique, le chapitre 10, intitulé
« Le droit à l'épreuve des dilemmes de l'égalité : de la catégorisation sexuée
binaire à l'état civil », pose la question de savoir quels seraient les effets sociaux
d'une reconnaissance d'un sexe « neutre » ou « autre », voire d'une abolition de
toute mention du sexe à l'état civil. Sur la base d'une analyse empirique des
données statistiques recueillies dans le cadre du module « Genre et politique »
de l'enquête pré-électorale du CÉVIPOF sur l'élection présidentielle de 2017 (dans
lequel a été insérée, pour la première fois, la possibilité, pour les 20 000
répondants et répondantes, de ne se déclarer ni homme, ni femme, mais
« Autre »), Réjane Sénac constate que les 166 personnes qui ont utilisé cette
faculté font partie d'une mobilisation émergente contre la binarité. Alors que
l'abolition juridique de celle-ci aurait pour inconvénient de rendre plus difficile
l'action contre les inégalités et les discriminations, ce projet utopique
représenterait néanmoins, selon l'autrice, une arme de l'égalité.
La question importante de l'hétéronormativité du droit familial français,
soulevée par S. Hennette-Vauchez, et celle des luttes contre les inégalités et les
discriminations, discutée par R. Sénac, sont aussi au cœur du chapitre 11 de
Bruno Perreau. Celui-ci nous rappelle que les mobilisations politiques récentes,
en France, autour de la notion de genre n'ont pas uniquement visé à abolir
l'empire de la binarité, mais également à le défendre comme dernier bastion de
la civilisation française voire occidentale. Intitulé « Les analogies du genre :
différance, intrasectionnalité et droit », ce chapitre conclusif opère une montée
en généralité : il réinvestit les rapports entre genre, droit et politique au prisme
d'une relecture critique du concept d'identité de genre, qui enrichit la réflexion
sur cette notion tout en en cernant les limites. En décortiquant les différentes
théorisations du concept de genre et les mobilisations politiques récentes contre
ces dernières (sous la forme, en France, de la « Manif pour tous »), B. Perreau
avance que la notion a pour avantage de permettre de rendre les discriminations
visibles, ce qu'il illustre par des exemples de controverses juridiques récentes
touchant à la transparentalité, à l'adoption, au mariage de personnes du même
sexe et à la non-reconnaissance des intersexes. La difficulté à mettre en valeur
les discriminations cumulatives avait conduit A. Vuattoux (chapitre 5) à se
tourner vers le concept d'intersectionnalité. Cependant, plus les discriminations
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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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